« Le Dernier homme, est le premier roman notoire traitant de la fin de l’humanité causée par une pandémie »
Cataclysmes, éruptions volcaniques, tremblements de terre... Les récits de fin du monde peuplent la littérature et les arts depuis toujours, et ont connu un véritable foisonnement aux 19ème et 20ème siècles. Comment les écrivains envisageaient-ils l'apocalypse ? Qu'est-ce que ces récits ont en commun ? Que disent-ils de leur époque ?
Écrivain majeur de la science-fiction française, Jean-Pierre Andrevon a récemment publié Récits de l'apocalypse aux éditions Vendémiaire. Une encyclopédie qui répertorie minutieusement toutes les catastrophes qui ont irrigué le champ de la littérature et du cinéma depuis le XIXe siècle. Nous nous sommes entretenus avec lui sur ces récits de fin du monde qui ont inspiré les plus grands auteurs.
Propos recueillis par Arnaud Pagès
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RetroNews : Les récits de fin du monde que vous avez compilés diffèrent-ils selon les époques ? Par exemple, de quoi avait-on peur au 19ème siècle... ?
Jean-Pierre Andrevon : Je crois que l’humanité a toujours vécu au milieu des catastrophes, avec la peur qu’elles nous tombent sur la tête et les efforts dérisoires que nous déployons pour y échapper. Les Néanderthaliens et l’homo sapiens ont connu les éruptions volcaniques, les tsunamis, les feux de forêts, les tremblements de terre, les épidémies... Les 15000 habitants de Pompéi ensevelis sous les cendres du Vésuve, le tiers de la population européenne éradiquée par la grande peste noire entre 1347 et 1353, les citoyens d’Hiroshima et de Nagasaki fauchés par l'explosion de la première bombe atomique.... Pas besoin d'imaginaire pour se représenter ces tragédies car elles sont bien réelles. Les peurs du XIXe siècle ne sont pas très différentes de celles du XVIIIe ou du XVIIe siècle. Elles sont essentiellement liées aux catastrophes naturelles et aux épidémies. On trouve bien sûr quelques contre-exemples dans la littérature, comme la courte nouvelle d’Eugène Mouton écrite en 1883, La Fin du monde, où surproduction, surconsommation, surindustrialisation, développement urbain sans frein, exploitation des énergies fossiles, et déforestation produisent ce que nous redoutons tous aujourd’hui. Mais c’est un cas à peu près exceptionnel... L’ouvrage de référence reste Le Dernier homme de Mary Shelley, premier roman notoire traitant de la fin de l’humanité causée par une pandémie de peste. Son modèle était à l’évidence celle du XIV siècle.
Ces récits évoluent-ils avec les progrès scientifiques ?
Avec l’avènement de l’ère industrielle, on peut noter un changement de paradigme à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Sous des bienfaits visibles, un certain nombre de nuisances émergent qui, si elles sont encore ignorées à une époque où l’optimisme régnait, vont prendre corps au siècle suivant. Citons La Mort du fer de Serge Simon Held (1931) où, dans une France du futur, le fer se dissout, rongé par une mystérieuse maladie. Et plus de métal signifie plus de civilisation. En 1943, avec Ravage, Barjavel illustre la fin brutale de l’électricité, ce qui est encore pire : on sait que si l’électricité venait à disparaître subitement partout dans le monde, la civilisation s’écroulerait en 48 heures. Avec ce roman, Barjavel, premier véritable écrivain écologiste, prônait la décroissance et le retour à la terre avec 50 ans d’avance, et posait une question intéressante : comment se passer de quelque chose dont on se passait aisément avant d’en avoir connaissance ?
Tout ce qui vient du ciel, astéroïdes ou comètes, fait également peur...
Oui en effet, parce que là, pas moyen d’y échapper ! Mon choc initial et initiateur en la matière vient du film de Rudolph Maté Le Choc des mondes (1951), d’après un roman des années 30, où une planète gigantesque va heurter la Terre. Fantasme ? Non puisque c’est déjà arrivé il y a soixante-cinq millions d’années avec le météore du Chicxulubnqui qui a provoqué la cinquième extinction de masse et entraîné la disparition des dinosaures. Pas étonnant donc que tant d’écrivains s’y soient mis, de Verne à Wells, en passant par Rosy aîné ou Spitz, et qu’Abel Gance ait tourné en 1931 La Fin du monde... Ce fut également un thème majeur pour les romanciers américains, comme en atteste l’effrayant Shiva le destructeur de William Rotsler et Gregory Benford.
Les écrivains français ont-ils eux aussi imaginé la fin du monde ?
Il y a Barjavel et mon propre cas. Il y a également ce grand prédécesseur que fut Rosny aîné et son roman La Force mystérieuse, dans lequel une « maladie de la lumière » produit un refroidissement subit de l’atmosphère, autrement dit une nouvelle ère glaciaire. C'est un thème récurrent. Il y a aussi son chef-d’œuvre La mort de la Terre, qui nous projette des millions d’années dans le futur, où notre planète s’est totalement asséchée. Les années 70 virent fleurir ce genre de récit, où les thèmes environnementaux et post-atomiques ont inspiré des écrivains comme Pierre Pelot et Julia Verlanger, regroupés avec d'autres dans ce qu’on a appelé « la jeune science- fiction politique française » qui mettait en cause l’atome, le capitalisme, les technostructures, la perte de biodiversité...
Et qu'en est-il des cinéastes ?
Méliès a été le premier à tourner un film faisant état d’une catastrophe, avec Éruption volcanique en Martinique en 1902. Il a été peu suivi jusqu’aux années 60 du siècle dernier, où l’on peut citer le magnifique court-métrage de Chris Marker La Jetée en 1962 ou l’adaptation ratée du Malevil de Robert Merle en 1981, guerre atomique encore et toujours. Timidité ? Plutôt difficulté d’accéder à des effets techniques satisfaisants, ce qui s'est largement arrangé depuis.... Dans la brume de Daniel Roby en 2018, et Le Dernier voyage de Romain Quirot en 2020 sont remarquables.
Comment ces récits évoluent-ils au 20ème siècle ?
Ce sont nécessairement les périls écologiques qui ont pris une importance toute particulière ces deux dernières décennies. S’il est un ouvrage sur les bouleversements climatiques qui se détache du peloton, c’est bien La Mère des tempêtes (1994) de John Barnes. Homo disparitus, essai d’Alan Weisman paru en 2007, qui nous présente un panorama très réaliste de ce qui peut arriver à la Terre après la disparition brutale de l’humanité, est également remarquable. Auparavant, John Christopher, avec Terre brûlée (1956), décrit une soudaine maladie des graminées causée par le virus Chung-Li qui apparaît en Chine (sic) mais s’étend à l’Europe, entraînant une famine mondiale. Le Français Jean-Marc Ligny, en 2006, dans son épais Aqua, aborde le problème crucial de l’eau, dont la raréfaction prévisible sera la cause de guerres futures. Si l’on veut bien admettre que les thèmes s’accumulent et s’agrègent, laissons la conclusion à Jean Delumeau qui, dans La Peur en Occident, écrit : « Qu’il y ait ou non en notre temps une sensibilité plus grande à la peur, celle-ci est une composante majeure de l’expérience humaine, en dépit des efforts tentés pour la dépasser ».
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Jean-Pierre Andrevon est l'auteur de près de 80 romans et nouvelles de science-fiction, dont les ouvrages cultes Les Hommes-machines contre Gandahar, Surkan et Le monde enfin. Il a reçu le Grand prix de la science-fiction française en 1990 pour Sukran et le Prix du roman d'aventures en 2001 pour L'Œil derrière l'épaule. On lui doit également Anthologie des dystopies : Les Mondes indésirables de la littérature et du cinéma paru en 2020 chez Vendémiaire et Récits de l’apocalypse : Catastrophes, cataclysmes et fins du monde, dans la littérature et au cinéma en 2021 chez le même éditeur.