Une idée similaire se retrouve dans le film Les Bâtisseurs (1938) réalisé par Jean Epstein à la demande de la Fédération nationale des travailleurs du bâtiment. Comme l’explique Regards dans son édition du 10 février 1938 :
« Le thème est simple, ingénieusement présenté.
L’essentiel tient en peu de mots : les hommes qui construisirent les cathédrales, qui ont bâti toutes les merveilles et le luxe de ce temps, sont logés dans des taudis, menacés du chômage.
Il faut détruire les taudis, élever des maisons neuves. »
Les ouvriers d’aujourd’hui descendent donc de ceux de qui ont bâti les grands édifices gothiques. À travers elle, Epstein entend montrer le génie du prolétariat français. D’ailleurs, le film, que l’on peut voir sur le site Ciné-archives, s’ouvre sur de longs plans de la cathédrale de Chartres (sur fond de chants religieux) puis continue (à partir de 3’15’’) sur le débat entre deux ouvriers contemporains travaillant à son entretien :
« J’pense à ceux qui ont bâti ça. […] J’pense à ceux qui étaient là juste comme on est maintenant sur un échafaudage et qui bâtissaient [la cathédrale].
– C’est les curés qui l’on faite ?
– Mais non, c’est le peuple ! […] Les seigneurs, les bourgeois, enfin, tous les riches payaient. Le peuple aussi tu penses. Mais quand il était trop pauvre, le peuple, il payait avec ses bras. […] À cette époque-là, une cathédrale […] c’était beaucoup plus qu’une simple église. On n’y disait pas seulement la messe. On y faisait des réunions, on y faisait même du théâtre. C’était comme une maison du peuple. […] Presque toutes les statues que tu vois là, c’étaient des imagiers qui les taillaient. Ils racontaient l’histoire sainte en pierre, oh, un peu à leur idée. Et bien on ne sera jamais de qui elles sont.
– Elles sont du peuple ! […] Mais qu’est-ce qu’ils avaient donc à faire des cathédrales comme ça ? […]
– C’était tous des ouvriers. […] C’était la première fois qu’ils s’mettaient à travailler tous ensemble. Alors, ils voulaient faire quelque chose de grand, de beau. […] Ils parlaient même pas tous français avant de commencer à construire les cathédrales. Ils parlaient des sortes de patois ou le latin. Quand ils s’sont trouvés tous ensemble sur le chantier, il a bien fallu qu’ils se disent : “Passe-moi la truelle.” ou “Envoie-moi c’te pierre-là.” Alors, ils l’ont dit en français.
– Ils l’ont inventé. »
Ici, la cathédrale est non seulement présentée comme l’œuvre collective du prolétariat, mais aussi comme le creuset à travers lequel le peuple des différentes régions s’assemble pour former, grâce à l’emploi d’une langue commune, la France. Une France qui devient, à l’instar des monuments, le fruit du travail non des souverains, mais des ouvriers, générations après générations.
Ce roman national de gauche, dans lequel les cathédrales occupent une place fondatrice, a influé sur la manière qu’a eu le PCF d’envisager l’histoire de l’Hexagone après 1936. Ainsi face à la menace hitlérienne, celle de Strasbourg incarne l’unité du peuple dans l’épreuve. Malgré les incendies, la ville s’est, en vertu du patient travail des ouvriers, toujours relevée, comme la France s’est relevée des guerres, ainsi que l’explique à mots à peine couverts Regards dans son numéro du 29 juin 1939.
« NEUF SIÈCLES D’HISTOIRE DE NOTRE ALSACE
LA FLÈCHE DE LA CATHÉDRALE DE STRASBOURG ÉTAIT ACHEVÉE EN 1439
Mais depuis 400 ans déjà, des milliers de mains françaises travaillaient à édifier ce merveilleux monde de pierre. […]
Cette œuvre, prodigieusement vivante, d’une unité miraculeuse malgré l’infinie diversité des parties, a été conçue, de fragments en fragments, par des centaines de cerveaux anonymes. Des milliers de mains françaises l’ont réalisée. En ces quatre siècles, tout le génie de la France a eu l’occasion de s’y donner rendez-vous. C’est en vain que six incendies noircissent ses pierres déjà séculaires.
À chaque fois – au XIIe siècle, en 1298, en 1384 – l’œuvre est reprise, embellie, augmentée. »