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1935 : Benito Mussolini interviewé par Titaÿna

le 24/10/2023 par Titaÿna
le 18/04/2023 par Titaÿna - modifié le 24/10/2023

Le 20 mars 1935, la célèbre grande reporter Titaÿna rencontre le « Duce » Mussolini, dans un contexte diplomatique extrêmement tendu. Six mois plus tard, l'Italie fasciste envahira l’Éthiopie.

Ce n'est pas en qualité de simple journaliste que la star de reportage Élisabeth Sauvy, dite Titaÿna, rencontre le « Duce » au début de l'année 1935. C'est plutôt, selon l'impétueux chef d’État italien, une façon de « récompenser » le courage dont elle a su faire preuve quelques jours plus tôt. En effet la semaine précédente, la reporter interrogeait en Crète le grand homme politique grec Elefthérios Venizelos. Cependant, à l'occasion de ce voyage, elle s'est fait tirer dessus à la mitrailleuse. Mussolini a eu vent de ce reportage pour le moins musclé et consentit dès lors à recevoir la journaliste.

Titaÿna dévoile le lendemain dans Paris-Soir le contenu de cet entretien. Bien que Mussolini affirme ne pas pouvoir donner la moindre interview, puisque « trop de questions sont en ce moment sur le "tapis" », la journaliste réussit à obtenir de lui des propos exclusifs – et lunaires – qui révèlent l'univers mental particulier du fondateur du fascisme.

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Une visite à Mussolini

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« Avant tout il faut bâtir la paix, mais pour la bâtir il faut des peuples jeunes et forts. La démographie est la clé de l’histoire du monde. »

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« LES PEUPLES FORTS SONT CEUX QUI AURONT BEAUCOUP D’ENFANTS. LA DÉNATALITÉ EST UNE DES CAUSES DE LA CRISE. L’ENFANT EST UN CONSOMMATEUR : IL DÉTRUIT TOUT. »

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« La politique est dépassée par la technique, mais la technique doit être soumise à la politique »
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« Croire qu’un peuple nombre devient un peuple pauvre est une monstrueuse erreur »

 

« Chaque homme doit garder sa part de barbarie et vivre fortement »
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« Je suis féministe, mais les femmes ne doivent toucher ni à la philosophie, ni à l’architecture, ni à la musique »

(De notre envoyée spéciale TITAYNA)

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Rome, 20 mars (Par téléphone)

Mussolini, à ces moments de paix européenne troublée, ne reçoit pas de journalistes. Seuls les diplomates ont droit de le voir. Jusqu’à 10 heures le soir, sa fenêtre du Palais du Gouvernement reste éclairée sur la place de Venise et les passants lèvent la tête vers sa lumière.

– Le Duce travaille.

Et comme chacun a un peu d’angoisse au cœur, les pensées montent avec une puissance décuplée vers la salle où arrivent les télégrammes d’Europe.

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Ce n'est donc pas comme journaliste que j'ai obtenu de voir celui qui porte sur ses épaules les décisions d'un peuple à une heure où les destinées de tous les pays sont solidaires les unes des autres…

Mais Mussolini est un sportif. Notre reportage en Crète lui a plu et c'est à cause de notre équipée contre les vents et les mitrailleuses qu'il a consenti à me recevoir.

Ma lettre d'audience me convoque à sept heures. J'ai tellement peur d'être en retard que j'arrive à six heures et demie. Accueillie dès la porte par les saluts fascistes, je monte au deuxième étage où se succèdent les salles d'attente et les huissiers à livrée à col brodé au petit point.

Un secrétaire m'appelle à huit heures trois quarts. A ce moment, je connais pièce par pièce les poteries et les bronzes du IXe au XVIe siècles qui ornent les vitrines. J'ai regardé chaque tableau, chaque fresque, avec un souci du détail que les visites aux musées ne permettent pas. J'allais de long en large sur des carrelages magnifiques dont je sais maintenant le nombre et la couleur, et j'ai constaté que les meubles gothiques offerts aux visiteurs sont d'une austérité de couvent. Les bleus que je garde sur tout mon corps en souvenir de mon arrivée en Crète deviennent déjà jaunes, mais ne me permettent pas de supporter longtemps le contact du bois dur.

« JE NE PEUX PAS PARLER DE NÉGOCIATIONS EN COURS »

Les portes du bureau du Duce s'ouvrent sur un désert de 30 mètres au fond duquel se trouve un bureau et, debout près du bureau, un homme. Cet homme est venu vers moi :

Excusez-moi de vous avoir fait attendre.

– Vous excuser ? Je ne peux vous dire à quel point j'apprécie que vous ayez pu me recevoir en ce moment. Vos jours et vos nuits doivent être soumis au travail.

Pas mes nuits. Je dors beaucoup.

Il dit cela d'une voix calme et me regarde de ces yeux que l'Italie entière reproduit à chaque coin de rue.

Depuis que je suis à Rome, j'ai vu le Duce en affiches, en peinture, en photos, en cartes postales, en calendriers, partout.

– J'ai lu votre reportage en Crète. Vous avez eu de la chance.

– La chance continue, puisque je suis ici.

Il hausse les épaules.

Cela n'est rien !… Vous savez que je ne peux pas vous donner une interview ! Trop de questions sont en ce moment sur le « tapis ». Je ne peux pas parler des négociations en cours.

– Je le comprends trop bien. Je ne veux pas l'impossible.

Bon !

Il sourit sans être détendu. Nous sommes tous deux debout l'un près de l'autre et nous parlons de choses indifférentes, de régimes évanouis, déjà morts...

– J'ai interviewé Primo de Rivera et Mustapha Kemal…

– Parlez-moi d'eux, cela m'intéresse.

« JE SUIS FÉMINISTE »

Mais je ne suis pas là pour parler. Un sujet pourtant est facile : les femmes.

Je suis féministe, m'affirme Mussolini. Je reconnais aux femmes tant de courage, de douleur, de patience, de finesse !… Seulement, il ne faut pas qu’elles touchent à la philosophie, ni à l'architecture, ni à la musique.

– Et la politique ?

– La politique?  Qu'est-ce que c'est ? Actuellement, la politique est dépassée par la technique.

– M'autorisez-vous à l'écrire ?

– Oui, si vous ajoutez que la technique doit être soumise à la politique… Sinon… Si la technique arrivait à dominer seule ce serait un naufrage dans l'anarchie et dans la démagogie !

« VENIZELOS EST UN RÉFUGIÉ POLITIQUE C'EST TOUT »

– Duce, puis-je vous poser quelques questions ?

Et pour ne pas attendre sa réponse, je débute par la plus anodine :

– Étiez-vous au courant de l'arrivée éventuelle de Venizelos en terre italienne ?

Non pas du tout ! Il est un réfugié politique, c'est tout.

– Je suis personnellement heureuse qu'il soit allé en Italie d'abord. S'il s'était dirigé vers un pays français, la situation de mes amis et la mienne eût été difficile en Crète ! Maintenant la question de Grèce est si loin ! Nous avons d'autres soucis… d'autres travaux… d'autres reportages… Je vais peut-être partir pour Addis-Abeba.

LES VOLONTAIRES POUR L’ÉRYTHRÉE

– Cela m'intéresse beaucoup. Quand iriez-vous ?

– Justement, je voudrais vous posez une question purement personnelle, pour mon travail. Me conseillez-vous d'y aller d'ici un mois ou... plus tard ?

Mussolini sourit :

– L'Abyssinie est un pays très chaud. N'y allez pas avant l'hiver, si vous tenez à la visiter. Déjà maintenant, nos soldats souffrent de la chaleur en Érythrée [alors occupée par l'Italie, NDLR].

– Sont-ils tous des volontaires ?

Pas tous. Il y a les volontaires chemises noires et aussi deux divisions… On a dit que les volontaires pour l’Érythrée étaient des chômeurs, c'est faux. Il y a des hommes qui ont demandé à partir et qui avaient de très bonnes places ici, comme ouvriers spécialisés.

» Le goût du risque tentera toujours les jeunes… surtout en temps de crise mondiale. »

– La crise ?... Ah, oui !…

« LA DÉNATALITÉ EST UNE DES CAUSES DE LA CRISE »

Mussolini à ce moment ressemble à un taureau qui va foncer et martèle ses mots :

Vous croyez à la surproduction ? Il n'y a pas de surproduction. Il y a une sous-consommation. La dénatalité est une des causes de la crise. Il faut avoir des enfants, beaucoup d'enfants. Moi, j'en ai cinq. L'enfant est un consommateur remarquable car il détruit tout : ses livres, ses jouets, ses vêtements ; il mange !

La vie économique d'un pays dépend de sa population.

Croire qu'un peuple nombreux devient un peuple pauvre est une monstrueuse erreur. Quand j'étais jeune, j'ai vécu dans une province dépeuplée et misérable ; aujourd'hui, elle est très habitée, aussi la vie y est-elle plus facile. Les nations doivent avoir beaucoup d'enfants si elles ne veulent pas mourir. J'aime la vie, la jeunesse, les êtres qui vibrent…

LES PEUPLES FORTS SERONT CEUX QUI AURONT BEAUCOUP D'ENFANTS

Quand Mussolini parle de ces questions, il y a en lui une telle conviction, une telle flamme, que l'on comprend sa force psychique, sa force tout court.

Il continue :

Les seuls peuples forts, les conquérants de l'avenir seront ceux qui auront beaucoup d'enfants.

– Duce, mon père a été tué à la guerre avec beaucoup d'autres de ma famille. Comprenez-vous pourquoi, peut-être, les mères françaises hésitent à avoir des enfants ?

Votre père n'aurait pas été tué si la France dès avant 1870 avait eu une moyenne de cinq enfants par foyer.

– Peut-être…

« IL FAUT BÂTIR LA PAIX »

Je me sens tout à coup, moi, femme sans enfants, un être inutile, rejeté hors du jeu.

Et le Duce murmure :

Comparez les puissances démographiques de la France et de l'Allemagne ! Vous êtes, malgré l'apport de l'Alsace et de la Lorraine, 40 millions en décroissance. Les Allemands sont 70 millions. Faites le calcul dans un temps !

– Faudra-t-il donc toujours songer à des guerres ?

Non. A la Paix. Construire la Paix. La Paix avant tout. Mais pour la bâtir, il faut des peuples jeunes et forts. Voyez-vous, ce qui rend la situation de l'Europe difficile, c'est qu'il se trouve des peuples qui s'accroissent en nombre et d'autres qui sont en recul démographique. La démographie est la clé de l'Histoire du Monde.

« CHAQUE HOMME DOIT GARDER SA PART DE BARBARIE »

– Duce, j'ai beaucoup voyagé en Extrême-Orient. J'y ai appris la haine de la population qui grouille...

Pourtant, l'explication de l'Extrême-Orient est aussi une question de population.

– Depuis quelques années, on a signé le « Birth Control ».

– Je déteste ce mot. Comme celui de confort. Le confort, cela sent l'amollissement, l'aveulissement. Chaque homme doit garder sa part de barbarie. Il faut être dur. Admettre le froid et la faim, la lutte. La facilité de vie amène toujours la décadence. Un homme ou un peuple qui songe d'abord à son confort n'est pas un peuple fort. D'ailleurs, vous me comprenez, mademoiselle, le confort n'est pas le premier de vos soucis.

– C'est vrai... Vivre dangereusement...

Non, vivre fortement. Être fort contre soi-même, pour avoir le droit d'être fort pour les autres...

AVERTISSEMENT

Mussolini a parlé avec véhémence. Il se reprend :

– Pas d'interview, n'est-ce pas ?

– Nous n'avons parlé d'aucune question en cours.

Il sourit, de ce sourire latin qui signifie tant de choses, et il m'avertit :

– Faites attention, je lirai tout ce que vous avez écrit.

– Je suis honnête, et j'essaie de comprendre les choses.