Si, à Paris, on soutient tellement ce projet de tunnel c’est aussi parce qu’il court-circuite les verrous britanniques. Le Journal des débats politiques et littéraires, s’en explique fort bien : le tunnel passe outre la forteresse de Gibraltar, évite la flotte anglaise et fait fi d’un nouveau Trafalgar, en passant par-dessous.
Mais, tandis que Londres dénonce « cette tentative de revanche de Fachoda » selon le bien nommé La Souveraineté nationale, d’éminents Britanniques, entrepreneurs coloniaux, s’intéressent quant à eux de près à la transversale ferroviaire.
Cependant, tous les plans français achoppent sur un écueil de taille : les deux rives du détroit de Gibraltar sont, à l’exception du rocher éponyme, espagnoles. La Politique Coloniale enjoint donc à composer avec l’Espagne.
En 1898, l’ancienne puissance perd pratiquement toutes ses dernières colonies, aux bénéfices des États-Unis qui ont facilement triomphé du vieil empire colonial. Les caisses sont vides, le pouvoir chancelant. À Madrid, il n’est plus question d’investir seuls. Puisque Londres voit le projet d’un œil hostile, c’est naturellement vers Paris que l’on se tourne.
De fait, en résultante de la convention franco-espagnole de 1904, l’Espagne est en train de développer son réseau de chemin de fer avec la France, selon trois axes transpyrénéens souligne L'Économiste français. La création d’une « Compagnie Franco-Espagnole du Tunnel de Gibraltar » est suggérée.
Mais le ministre Delcassé n’est en rien un partisan du projet, au grand désespoir de nombreux titres de presse, à l’instar de L’Éclair. Dans un entretien accordé au Gaulois, l’ingénieur éconduit fait état de sa déception.
À la veille de la Grande Guerre, les intérêts communs des deux pays en Afrique sont encore régulièrement évoqués, réunis par un « tube » que La Croix propose malicieusement de renommer « Hercule ».
Le conflit mondial interrompt naturellement le projet. Mais la guerre sous-marine à outrance a montré les faiblesses des lignes de communications maritimes et remet donc au goût du jour l’intérêt français pour les tunnels sous-marins.
Par Gibraltar, c’est Bordeaux ou Lyon qui deviendraient des étapes majeures du nouveau tracé reliant les deux continents. En 1918, la Compagnie du Chemin de fer d'Orléans a d’ores et déjà soumis une demande de concession.
Un entrefilet paru dans plusieurs titres du 30 mai 1918 assure que le gouvernement espagnol a donné son autorisation pour l’étude du « projet d'un tunnel » à percer sous le détroit de Gibraltar. La Gironde ajoute que « le point d’aboutissement sur la côte marocaine n’est pas encore fixé, car il est nécessaire de mettre le projet en harmonie avec les intérêts français ».