15 août 1944 : le débarquement de Provence
Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, 2200 bâtiments dont 900 navires de guerre partent d’Italie, de Corse et d’Afrique du Nord pour converger sur le littoral provençal. A leur bord, des soldats américains et anglais, mais aussi les forces françaises menées par de Lattre de Tassigny.
Le 16 août 1944, l’Echo d’Alger affirme : « Les forces françaises et alliées ont débarqué entre Nice et Marseille, sur un front de plus de 150 km ». Il s’agit de l’opération « Dragoon » menée par les généraux américains Truscott et Patch, le débarquement des forces alliées sur le littoral du sud de la France le 15 août à 8 h du matin.
La veille, l’événement a été annoncé par plusieurs messages codés (dont « Le premier accroc coûte 200 francs », qu’Elsa Triolet reprendra pour son recueil de nouvelles récompensé par un Goncourt) et un bombardement aérien et naval nocturne.
Le quotidien de la France libre annonce 900 navires et 800 planeurs qui affrontent le « mur de la Méditerranée » mis en place par Rommel de Toulon à Marseille et, selon le journal, l’évolution offensive est satisfaisante au lendemain de son déclenchement.
« Mardi à l'aube, une puissante armada composée de plus de 900 navires, battant pavillon français, anglais, américain et allié s'approchait de la côte française et prenait, sous son feu meurtrier, les batteries allemandes, tandis que d'innombrables formations aériennes parachutaient à l'intérieur des terres la plus formidable formation de soldats aéroportés utilisée jusqu'à ce jour : 14.000 hommes, dont la majorité était des Français, étaient lancés à l'intérieur des terres avec la mission de neutraliser les communications ennemies et de prendre par l'arrière les installations côtières allemandes. C'était la première fois, fait-on remarquer dans les milieux officiels, que des effectifs français aussi nombreux prenaient part directement, eux côtés des Alliés, à la lutte contre l'ennemi commun. »
Le journal basé en Algérie souligne un fait décisif : aux côtés des Américains et des Anglais débarquent près de 260 000 soldats composants l’armée B, qui prendra le nom de « 1ère armée française » quelques jours plus tard, commandée par le général de Lattre de Tassigny.
« Que l'on songe maintenant à l'ardeur, à l'enthousiasme et à l'émotion de ceux qui ont participé aux victoires d'Afrique, de ceux qui ont affronté de terribles épreuves pour les rejoindre, de tous ceux enfin qui ont attendu dans leurs cantonnements africains, le débarquement sur la côte sud. Depuis hier, ils sont au combat. Depuis hier, la France qui n'a jamais abandonné la lutte, engage sa grande armée de la revanche. Saluons donc avant tout cette armée française renouvelée, cette magnifique armée française de 1944 qui, du nord au midi, boute l'Allemand hors de France. »
Dans cette nouvelle armée, une minorité de « français libres » venant de métropole et quelques soldats issus des colonies d’Afrique noire comme les tirailleurs sénégalais. L’écrasante majorité des hommes est composée de combattants d’Afrique du nord (anciens de l’armée vichyste). Sur ceux-là, plus de la moitié sont d’origine nord-africaine (52%), les autres sont d’origine européenne.
L’édition du 16 août de l’Echo d’Alger fait état des victoires : des points stratégiques comme le Cap Nègre, les îles de Port Cros et du Levant ont déjà été pris par un parachutage allié pendant la nuit.
Mais pour le journal collaborationniste Le Matin, en revanche, rien n’est moins sûr. « Le haut commandement des forces armées allemandes communique » sur ce qu’il appelle « des tentatives de débarquement ».
« Dans la nuit de lundi à mardi, une première opération a été tentée dans la baie de Bormes, à 20 kilomètres à l'est d'Hyères, opération qui, grâce à la vigilance de la défense côtière, a échoué avec des pertes en hommes pour l'assaillant.
Depuis les premières heures de la matinée d'aujourd'hui, la région côtière entre Cannes et Nice est soumise à un violent tir de l'artillerie navale ennemie. De différents points de cette région, on annonce d'autres tentatives de débarquement, notamment celle effectuée à l'aide d'une centaine de planeurs, protégés par d'importantes forces aériennes, Une partie de ces tentatives ont échoué. En d'autres points, les combats avec les forces de protection côtières allemandes sont en cours. »
Cependant, le 17 août, l’Echo d’Alger égrène les conquêtes des forces alliées en titrant sur huit colonnes à la Une : « Tous les objectifs initiaux sont pris et les positions alliées sont maintenant solidement tenues ». L’aviation américaine et anglaise appuie le débarquement en bombardant dans les terres. Il est en effet vital pour les soldats qui ont débarqué entre Borme et Saint-Raphaël dans le Var de rejoindre la nationale 7, axe principal pour remonter au nord vers le Rhône.
« Plusieurs centaines de bombardiers lourds américains ont attaqué aujourd'hui quatre ponts ferroviaires dans le sud de la France sur les lignes de ravitaillement allemandes. Deux de ces ponts traversent l'Isère dans les environs de Grenoble et l'est de Chambéry.
Les deux autres se trouvent à l'est du Rhône, sur la ligne Lyon-Marseille.
De puissantes formations de chasseurs et des nuées d'avions de reconnaissance ont attaqué d'autres objectifs allemands, y compris des ponts sur le Rhône, sans se heurter à aucune opposition de la chasse allemande. »
Sur la côte, le port de Cannes est libéré immédiatement, des chars débarquent dans la baie de Saint-Tropez et trois têtes de pont sont établies entre Marseille et Nice (qui se libère sans l’appui de l’armée).
En fait, la progression est extrêmement rapide et l’opération Dragoon avance plus vite que les prévisions. Dès le 15 août au soir, les forces alliées tiennent les Maures et l’Estérel. Le 16, c’est Fréjus qui tombe pendant que gendarmes et FFI libèrent Draguignan. Le 21 août, Aix-en-Provence, Arles puis Avignon sont libérés. Les alliés effectuent 500 kilomètres en deux semaines. Lyon est libéré le 3 septembre avec soixante-dix jours d’avance sur les prévisions.
Début septembre, André Diethelm, ministre de la guerre du premier gouvernement de Charles de Gaulle, dresse un premier bilan.
« Le débarquement a mieux réussi qu'on pouvait l'espérer, grâce à l’action des F.F.I., souligne d'abord le ministre. Le générai américain a tenu à le reconnaître officiellement.
Les Allemands se sont assez peu défendus, sauf à Toulon et à Marseille, où il a fallu prendre, dans certains quartiers, les maisons une par une. Dans la seule région côtière, 35.000 prisonniers ont été capturés, alors que les forces françaises n'ont eu, en tout, que 5.000 hommes tués ou blessés.
Le ministre a répondu ensuite à quelques questions et a déclaré que la ville de Marseille avait peu souffert des batailles, alors que la rade de Toulon a été très atteinte. »
Moins connu que l’opération « Overlord », le débarquement de Provence n’en reste pas moins un moment crucial de la victoire tant au niveau de la reconquête du pays que sur le plan diplomatique : c’est en effet grâce à la participation de l’armée française dans cette opération que le général de Lattre de Tassigny représentera la France à la signature de la capitulation allemande à Berlin le 8 mai 1945.