Celle qui osa briguer le baccalauréat en 1861
Pugnace, Julie-Victoire Daubié décida en 1861 que rien ni personne ne l'empêcherait de passer son baccalauréat. Elle ouvrit la voie de l'instruction supérieure aux femmes françaises.
Il est certains droits qu’on n'obtient qu’en les arrachant. Dans la France du milieu du XIXe siècle, celui de passer le baccalauréat quand on était une femme en faisait partie.
Julie-Victoire Daubié, fille de petits bourgeois, avait reçu une éducation ordinaire et obtenu son brevet élémentaire jusqu'au jour où elle dut donner des leçons pour vivre ; elle compléta alors elle-même son instruction, se prit de passion pour le latin et fut bientôt capable de traduire les auteurs les plus difficiles. Le jour où elle s’en sentit capable, elle décida de passer son baccalauréat, quand bien même aucune femme ne l'avait fait jusque-là. Julie-Victoire Daubié le sait : aucun texte de loi ne le lui interdit.
La manière dont elle procéda est rapportée dans quelques journaux, comme dans Le Petit Parisien en 1879.
« Notre étudiante (en chambre) se rendit à la Faculté des lettres et pria qu'on voulut bien l'inscrire pour les examens. Ébahissement des professeurs. Jamais semblable chose ne s'était vue.
En France, on a de ces épouvantes : ce qui ne s'est jamais vu prend tout de suite les proportions d'un événement. Pour un peu, on crierait au bouleversement, à la révolution, au renversement de tout. Et l’on a donc répondu à Mlle Daubié que ce qu'elle demandait était impossible.
“Nous verrons”, se dit en elle-même la postulante. Et elle courut chez le recteur. [...] Naturellement, il fut de l'avis des examinateurs. Une femme ne pouvait prétendre au baccalauréat.
Pourquoi, monsieur ? demanda Mlle Daubié.
Parce que ce n'est pas l'usage, répondit le recteur.
Mauvaise raison, monsieur : l'usage n'est pas la loi. [...]Le recteur se trouva, vous le pensez, fort embarrassé. En effet, pas de loi. Et vous savez l'axiome de notre droit public : “Ce qui n'est pas défendu est permis.”
Bref, le recteur à bout d'arguments s'inclina. »
Et le journalise de commenter :
« Mlle Daubié pensait [...] que le meilleur moyen de prouver l'égalité des sexes, c'était de la rendre palpable, évidente, en un mot, de la montrer. »
Après cet exploit, Julie Daubié continua à travailler – toujours sans maîtres – et fut reçue licenciée ès-lettres en 1871 ; elle allait affronter les difficiles examens de l'agrégation quand elle mourut en 1874, à 50 ans.
Dans les années 1930, de plus en plus de femmes passent le bac chaque année, mais le nom de la pionnière est tombé dans l’oubli.
« Les dames qui sont aujourd'hui bachelières par milliers et à qui sont ouvertes toutes les carrières ignorent généralement le nom de cette devancière qui fut une vaillante et un esprit des plus distingués », déplore en 1933 un journaliste de L’Écho d’Alger qui rend hommage à Julie Daubié et brosse le portrait d’une femme érudite à la volonté d’acier :
« Dans une notice, une dame féministe d'aujourd'hui, Mme Thérèse Duseville, a récemment écrit que Julie Daubié a laissé un gros ouvrage en trois volumes, “La femme pauvre”, qu'elle avait mis dix ans à écrire ; ne trouvant pas d'éditeur, elle le fit imprimer à ses frais ; il fut couronné par l'académie de Lyon en 1868.
À sa mort, un esprit des plus indépendants, M. Levasseur, membre de l'Institut, écrivit un article élogieux :
“Mlle Julie Daubié disait M. Levasseur, avait voué sa vie aux études économiques et tout particulièrement à la question du sort des femmes dans les sociétés modernes. Frappée de l'inégalité [...], elle s'appliqua à montrer les dangers de cette situation au point de vue de l'économie politique, de la morale et de l'équilibre social.” »
Plusieurs lieux d'éducation portent aujourd'hui le nom de Julie-Victoire Daubié.