Mars 1938 : l'Anschluss épouvante la France
En annexant l'Autriche dans la nuit du 11 au 12 mars 1938, Hitler mise sur l'absence de réaction de la France et du Royaume-Uni. La presse française du lendemain ne cache pas son inquiétude.
Le samedi 12 mars 1938, un événement ébranle l'Europe : à l'aube, l'armée allemande a franchi les postes frontières autrichiens. Sans rencontrer aucune opposition, Hitler a annexé l'Autriche, réalisant son rêve d'unifier les populations allemandes et autrichiennes au sein d'une même nation. C'est « l'Anschluss ».
Dans les journaux français du lendemain, la sidération et l'inquiétude sont palpables. Le Petit Parisien raconte :
« Les nazis se sont d'ores et déjà emparés de tous les leviers de commande du pays. Le drapeau à croix gammée flotte sur les édifices publics. Himmler, le chef de la Gestapo de Berlin, est arrivé précipitamment et a pris aussitôt la direction de la police d’État.
L'Anschluss n'est pas encore réalisé au point de vue juridique, mais il existe d'ores et déjà en fait. Les Allemands sont maîtres de l'Autriche, et le plébiscite qui consacrera dans quelques semaines l'union de l'Autriche au Reich ne sera, dans ces conditions, qu'une comédie. »
Le Petit Journal, qui titre « L'Autriche sous la botte allemande », semble lui aussi pétrifié :
« Vendredi, c'était un drame shakespearien. Samedi, c'est un drame wagnérien. Rien n'y manque, ni les passions confuses, ni ce goût de la mystique du vague, du nébuleux. L'Autriche, abandonnée, seule, s'est rendue. Elle est maintenant sous la botte allemande. On entend, au long du Danube, le pas lourd des légions en marche.
100 000 hommes des troupes régulières allemandes occupent les centres nerveux de ce qui fut un État fier, libre, indépendant. La nazification des villes, des régions, des individus se poursuit. Et Vienne la Jolie, Vienne la Douce, Vienne la Charmeuse, par étourderie, par nonchalance, et par indifférence aussi, accepte, se rend au conquérant. »
« Hitler à Vienne », titre Ce Soir, qui publie en une un article accusateur signé du journaliste et romancier Paul Nizan.
« L'Europe compte, depuis hier, un État libre de moins : l'Autriche est désormais une province allemande.
Trois ultimatums, la concentration des troupes allemandes, l'entrée de leurs premières unités en territoire autrichien, la menace de l'aviation du général Gœring ont contraint, au terme d'une journée tragique, le président Miklas et le chancelier Schuschnigg à l'une des plus affreuses capitulations de l'Histoire [...].
Paris et Londres payent cher — moins cher pourtant que la malheureuse Autriche — cinq ans de lâcheté et de complicité honteuse avec les dictatures totalitaires. »
Le quotidien de la droite catholique La Croix, lui aussi, insiste sur les atermoiements de la France et de l'Angleterre, incapables de mettre un frein aux ambitions de l'Allemagne nazie :
« M. Hitler a choisi l’heure favorable pour passer à l’action. Les perplexités où se débat la politique de l’Angleterre, qui va pouvoir se demander si, en fait, M. Eden n’avait pas raison ; une crise ministérielle stupide dans une France affaiblie par les conflits sociaux et de partis, ont fourni au Führer toutes les opportunités désirables d’agir impunément [...].
Un national-socialiste allemand, définissant dans un livre assez récent les ressorts de la politique hitlérienne, explique qu’elle a sans cesse tablé, avec quelque appréhension d’abord, puis hardiment après les premiers succès, sur l'indifférence ou l’irrésolution de l’Angleterre et sur le manque de réaction et le laisser-faire qui ont caractérisé la politique française depuis que s’est close l’ère Poincaré. »
Tandis que dans L’Ouest-Éclair, l'éditorialiste Paul Simon appelle à un réveil de la France face à la menace hitlérienne :
« Si, par un sursaut de toute la nation, nous leur montrions qu'ils se sont trompés sur notre compte et qu'il n'est point entre Français de fossés qu'on ne puisse combler en un jour de péril, le pire pourrait être évité.
Il faut que toutes les classes qui composent la Patrie prennent conscience de l'étroite solidarité qui les unit : classes moyennes, classes possédantes, classes laborieuses, ruraux et citadins, ouvriers et patrons, employés et fonctionnaires, tous sont également menacés par l'orage qui s'accumule. Tous doivent faire au salut commun les sacrifices qui s'imposent. »
Le Royaume-Uni condamnera l'annexion mais adoptera une politique d'apaisement vis-à-vis d'Hitler (« Ce n'est pas le moment de prendre des décisions hâtives ou de prononcer des mots imprudents », dira le Premier Ministre Chamberlain le 14 mars à la Chambre des communes).
La France, de son côté est, au moment de l'Anschluss, en pleine crise ministérielle : la Chambre des députés vient de renverser le gouvernement, remplacé par une coalition intérimaire. Il n'y a donc pas de réaction officielle ce jour-là.
Les journaux annoncent toutefois le 13 mars que Léon Blum s'efforce de constituer « un gouvernement de Rassemblement National autour du Front populaire en vue d'empêcher la guerre et de protéger les institutions républicaines ». Il y parviendra dans la journée, mais ce cabinet ne durera que 26 jours.
L'annexion reçut l'approbation d'une très large majorité de la population autrichienne : consultée lors d'un plébiscite organisé par les nazis le mois suivant, elle vota « oui » à 99%. Les historiens estiment que le vote, bien que ni libre, ni secret, ne fut pas truqué. Dès 1933, les conservateurs autrichiens avaient ouvert la voie au nazisme, écrasant dans le sang le soulèvement des sociaux-démocrates et instaurant un régime de parti unique en 1934.
L'Anschluss eut pour conséquence la nazification du pays, et l'exil de 120 000 Autrichiens juifs. On estime à 65 000 le nombre de Juifs restés sur place morts en déportation.