1631 : le fondateur de la Gazette fait son serment à Louis XIII
A l’issue de la première année d’existence du tout premier journal rédigé en langue française, Théophraste Renaudot envoie une note d’intention adressée au roi au sujet de sa vision de la Gazette. Sa volonté semble claire : se soumettre et vanter tous azimuts les mérites du pouvoir bourbon.
Le célèbre médecin-gazetier Théophraste Renaudot fonde la Gazette, première feuille d’informations française imprimée sur quatre pages, au mois de mai 1631 ; le premier numéro est publié le 30. A la fin de l’année, il rédige une préface au recueil d’articles publiés au cours des derniers mois, directement adressée au roi Louis XIII, qui peut se lire comme une déclaration éthique au sujet de son métier.
Si dans d’autres préfaces et comme le rappelle l’historien Gilles Feyel, Renaudot semble affirmer sa volonté d’indépendance vis-à-vis de l’État, cette introduction au corpus de 1631 le présente au contraire comme un émissaire « obeyssant » et soumis au roi, dans un climat européen tendu, que l’on appellera bientôt « Guerre de Trente ans ».
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SIRE,
C’est bien une remarque digne de l’histoire, que dessouz soixante-trois Roys la France, si curieuse de nouveautez, ne se soit point avizée de publier la Gazette ou recueil par chacune semaine des nouvelles tant domestiques qu’étrangères, à l’exemple des autres Etats & mesme de tous ses voisins. Mais ce ne peut estre sans mystère qu’elle ait attendu pour ce faire le vingt & uniesme an du Règne de Vostre Maiesté célèbre par les avantages qu’elle a remportez sur tous les ennemis, & par la prospérité de ceux qu’il luy a pleu favoriser de sa protection & bienveillance.
Iusques icy l’heur & la valeur de Vostre Maiesté (SIRE) ont mis les affaires de ce Royaume à un poinct, qui luy sert de Panegyrique eternel & d’Apologie effectiue à son premier Ministre. Chacun connoissant que Vostre Maiesté par ses divins Conseils est plus absolüe chez soy, plus chérie de ses alliez, redoutée de ses ennemis, & respectée de tout le monde : bref, s’est acquis plus de gloire au pres & au loin que tous ses devanciers ensemble. Ce sont les loüanges que la verité tire aujourd’huy des bouches autrefois les plus venieuses, que les peres racontent à leurs enfans, & dont les compagnies s’entretiennent pour en conserver la memoire.
Mais, SIRE, la memoire des hommes est trop labile pour luy fier toutes les merveilles dont Vostre Maiesté va remplir le Septentrion, & ensuite tout le continent. Il la faut désormais soulager par des escrits qui volent comme en un instant du Nord au Midy, voire par tous les coins de la terre. C’est ce que ie fay maintenant, SIRE, d’autant plus hardimẽt que la bonté de V. M. ne dédaigne pas la lecture de ces feüilles.
Außi n’ont elles rien de petit que leur volume & mon stile. C’est au reste le journal des Roys & des puissances de la terre. Tout y est par eux & pour eux qui en font le capital les autres personnages ne leur servent que d’accessoire.
Ainsi Vostre Maiesté va prendre le mesme plaisir (mais à meilleur titre) qu’autrefois Ænee [Énée, héros de la guerre de Troie, NDLR], se voyant meslé parmy les autres Princes, dans les tableaux que ie vay peindre de ses victoires : & cependant luy offrir en toute humilité ce recueil de toutes mes Gazettes de cette année : laquelle ie finiray par mes prières à Dieu, qu’autant que sa protectiõ est asseurée à cet Estat, elle accõpagne par tout V. M. qui en est la vie & bonheur inseparable. Ce sont les vœux & l’esperance de cinquante millions d‘ames, & entr’elles.
SIRE,
Du tres-humble, tres fidelle, & tres-obeyssant serviteur & sujet de Votre Majesté.
THEOPHRASTE RENAUDOT.