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4 mai 1897 : l’incendie du Bazar de la Charité

le par - modifié le 03/05/2023
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L’incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, est un des faits-divers les plus célèbres de la Belle Époque. Faisant 125 victimes, cette catastrophe marqua durablement les esprits.

Une manifestation philanthropique et mondaine de la haute société catholique française

Œuvre de bienfaisance parisienne fondée en 1885 et présidée par le baron de Mackau, le Bazar de la Charité revêt un caractère mondain (Le Matin, 17 avril 1896), auquel participent la haute société catholique (la duchesse d’Alençon, sœur de l’impératrice Sissi) et la haute bourgeoisie.

Le Bazar prend ses quartiers au 17 rue Jean-Goujon, près des Champs Élysées, dans un baraquement en bois de 80 mètres sur 13 mètres. Pour le décorer, on reconstitue une rue du Vieux-Paris médiéval faite de bois blanc et de carton pâte et recouverte d’une toile goudronnée dissimulée par un velum blanc pour réaliser une verrière à faible coût. Le tout nouveau cinématographe constitue la grande attraction de cette fête.

Le bazar ouvre le 3 mai 1897 mais il est officiellement inauguré le lendemain, par le nonce apostolique venu donner sa bénédiction. Au moins 1200 personnes se pressent dans le hangar quand se déclenche le sinistre vers 16h.

« Rue François Ier, sauvetage par l'échelle », Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source : Gallica-BnF
« Rue François Ier, sauvetage par l'échelle », Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source : Gallica-BnF

Un fait divers très meurtrier et très médiatisé

L’incendie se déclare dans le local de projection du cinématographe. La lanterne à lumière fonctionne à l’éther et à l’oxygène ; la pièce est remplie de vapeurs d’éther et quand l’assistant du projectionniste gratte une allumette, le local s’embrase. Le feu atteint la couverture du velum et se propage dans tout le bâtiment (Le Matin, 15 mai 1897).

Les sauveteurs, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 23 mai 1897 - source : Gallica-BnF
Les sauveteurs, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 23 mai 1897 - source : Gallica-BnF

L’incendie déclenche une panique collective qui provoque un encombrement mortifère, aggravé par le peu de portes de sortie et par les tenues très amples des dames. Les victimes tombent suffocantes, piétinées et brûlées par le feu et les gouttes de goudrons. Les femmes ont été les principales victimes (120 sur 125). En moins d’un quart d’heure l’ensemble du hangar a totalement brûle, ne laissant plus que des ruines fumantes et des corps calcinés à l’arrivée des premiers secours.

Les cadavres retirés des décombres, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source Gallica-BnF
Les cadavres retirés des décombres, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source Gallica-BnF

La presse se fait immédiatement l’écho du désastre (Le MatinLe FigaroLe Petit JournalLe Temps) : la plupart des grands journaux quotidiens en font leur une, parfois plusieurs pages,  interviewant des témoins qui ont survécu ou des sauveteurs. Les premiers articles décrivent avec précision les conditions du drame et les restes des cadavres, par goût du macabre et du sensationnalisme (Le Petit Journal, 6 mai 1897). La presse procède quotidiennement aux décomptes des nouvelles victimes identifiées (L’Intransigeant, 6 mai 1897). Le Petit Journal supplément du dimanche, toujours très friand de faits-divers, réalise plusieurs numéros successifs centrés sur l’incendie de Bazar de la Charité (16 mai 189723 mai 18976 juin 1897).

Les sauveteurs, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 6 juin 1897 - source Gallica-BnF
Les sauveteurs, Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 6 juin 1897 - source Gallica-BnF

Deuil, commémoration et polémiques

C’est l’incendie le plus meurtrier de Paris depuis l’incendie de l’Opéra comique (84 victimes le 25 mai 1887). Ce désastre devient un drame national, notamment du fait de la notoriété des victimes (la presse fait peu de cas des religieuses et des gens modestes décédés) mais aussi un drame international, certaines faisant partie du gotha européen. Une commémoration officielle a eu lieu le 8 mai 1897, à Notre-Dame de Paris, à l’instigation du gouvernement pour apaiser des tensions entre la République et les catholiques (cf. analyse de La Croix).

Analyse

La Croix du 9 mai 1897

 

Le 8 mai eurent lieu les funérailles des victimes à Notre-Dame. Le président Félix Faure s’y rendit avec de nombreux membres du gouvernement et des représentants des corps diplomatiques européens. La prédication du père Ollivier, prédicateur de Notre-Dame, créa la polémique : ultramontain, il voit dans le sinistre la main de Dieu punissant une France déchristianisée et se vouant à l’individualisme et à la modernité, mais aussi le sacrifice nécessaire pour expier ses fautes. Le ministre de l’Intérieur, Louis Barthou, rendit un hommage aux victimes et salua le courage des « pauvres et braves gens » qui ont secouru « les favorisés de la vie », appelant à apaiser les tensions et à l’unité nationale.

Très rapidement, se pose dans la presse la question des responsabilités de l’incendie. Est alors incriminé le cinématographe : il faudra des salles réglementées et l’utilisation de lampes électriques sécurisées pour reconquérir le public. Mais c’est la disproportion entre les victimes masculines et féminines qui fait scandale ainsi que l’attitude des hommes présents dans l’édifice (cf. analyse de L’Écho de Paris du 14 mai 1897 & Le Matin du 12 mai 1897).

Analyse

L'Écho de Paris du 14 mai 1897

 

La journaliste Séverine revient sur la surmortalité des femmes parmi les victimes dans. Féministe, elle pose une question polémique : « Qu’ont fait les hommes? » Après avoir rappelé le nom des 5 victimes masculines de l’incendie, elle évoque le courage du lieutenant Jacquin pour mieux stigmatiser les autres hommes présents qui ont lâchement fui, jouant de leurs cannes pour se frayer un passage et piétinant les dames agglutinées vers les portes de sortie. Elle reprend des extraits d’un article du Matin (Le Matin, 12 mai 1897) dont l’auteur déclare que les hommes ont été « en-dessous de tout »

L’identification des victimes à partir des restes des corps, conservé dans le Palais de l’Industrie, reste difficile et accroît le traumatisme des familles (La Lanterne, 7 mai 1897). Les scientifiques voient dans l’événement la date de naissance de l’odontologie médico-légale. En effet, le dentiste de la duchesse d’Alençon a pu reconnaître son corps dévoré par les flammes grâce à sa dentition.

« Reconnaissance des cadavres au Palais de l'Industrie », Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source : Gallica-BnF
« Reconnaissance des cadavres au Palais de l'Industrie », Le Petit Journal. Supplément du dimanche, 16 mai 1897 - source : Gallica-BnF

Bibliographie

 

Jules Huret, La catastrophe du Bazar de la Charité. 4 mai 1897, Paris, F. Juven, 1897.


Jacqueline Lalouette, « Parler de Dieu après un catastrophe. L’exemple des prédicateurs après l’incendie du Bazar de la Charité (4 mai 1897) », Histoire urbaine, n° 34 (2012), p. 93-110.


Michel Winock, « L’incendie du bazar de la Charité (4 mai 1897) », L’Histoire, n° 2 (juin 1978), p. 32-41.


ID., « Un avant-goût de l’apocalypse : l’incendie du Bazar de la Charité », dans Nationalisme, antisémitisme et fascisme, Paris, Seuil, 1990, p. 83-102.