Écho de presse

L'affaire du courrier de Lyon : braquage sanglant et justice expéditive

le 26/01/2019 par François Cau
le 29/11/2018 par François Cau - modifié le 26/01/2019
Illustration pour « Le courrier de Lyon : drame en cinq actes », estampe, L. Dien, 1850 - source : Gallica-BnF
Illustration pour « Le courrier de Lyon : drame en cinq actes », estampe, L. Dien, 1850 - source : Gallica-BnF

À la fin du XVIIIe siècle, une spectaculaire attaque à mains armées se solde par l'arrestation et l'exécution hâtives de ses principaux artisans. Non sans poser d'insistantes questions du bénéfice du doute sur l'un des guillotinés.

Dans une scène digne d'un western, au cours de la nuit du 27 au 28 avril 1796 (ou du 8 au 9 Floréal an IV, selon le calendrier révolutionnaire alors en vigueur), cinq individus braquent la malle-poste de Paris à Lyon, tuant au passage deux employés des postes chargés du convoi.

« Le courrier de Lyon, le citoyen Excoffon, a été assassiné le 8, à onze heures du soir, au sortir de la forêt de Senart, près Melun, ainsi que le postillon, par plusieurs scélérats. »

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Passée cette première dépêche laconique, il faut une grosse semaine à la police française du Directoire pour retracer les événements. Les assaillants étaient a priori au nombre de cinq, dont un homme infiltré dans la voiture.

« On les a vus passer à Villeneuve-Saint-Georges : c'étaient des jeunes gens bien mis. Arrivés au lieu désigné, ils se sont cachés dans l'épaisseur du bois, en attendant l'arrivée de la malle.

Au moment convenu pour l'assassinat, le scélérat qui était dans la voiture, s'est jeté sur le courrier, et lui a donné en même temps un coup de poignard dans le cœur et un coup de rasoir dans la gorge : le tout avec une telle célérité que le postillon ne s'en est pas aperçu : le courrier n'a pu jeter un seul cri.

Cependant les quatre complices se sont avancés, et ont obligé le postillon de conduire la voiture à cinq cents pas environ de la grande route ; c'est là qu'ils ont assassiné ce dernier, de plusieurs coups de sabre, dont un lui a ouvert le crâne ; après quoi ils ont dévalisé la malle, où se trouvaient douze millions en promesses de mandats et douze mille livres en numéraire. »

Partant, l'enquête et l'instruction s'enchaînent tambour battant.

Dans les jours qui suivent, trois hommes sont appréhendés : Etienne Couriol, Richard et Guénot. Trois autres suspects sont arrêtés, dont un certain Joseph Lesurques, reconnu par plusieurs témoins. Ce dernier, en dépit de l'assurance insistante et répétée de Couriol selon lequel il n'aurait rien à voir avec l'affaire, est instamment condamné à mort au même titre que Couriol et un dénommé Bernard.

Jusqu'au bout, Joseph Lesurques use de tous les moyens juridiques pour prouver son innocence. En vain.

« Des circonstances marquées au coin d'une fatalité inconcevable se réunirent contre lui.

Pour prouver son alibi, il invoquait le témoignage d'un marchand chez lequel il avait fait des emplettes dans la soirée de l'assassinat. Le marchand attestait de toutes ses forces la vérité du fait. On lui ordonna d'apporter ses registres, et il se trouva que la date du jour avait été surchargée.

D'un autre côté, des femmes de Lieusaint persistaient à reconnaître l’accusé. »

Lesurques, à bout de recours, se heurte au refus du Conseil des Cinq Cents, l'instance législative déléguée à l'affaire. Les trois accusés sont guillotinés.

Moins d'un an plus tard, la justice se confronte cependant à l'éventualité d'une énorme méprise.

« Le malheureux Lesurques, condamné l'année dernière, à la peine de mort, comme complice de l'assassinat du courrier de Lyon, est aujourd'hui reconnu innocent.

L'auteur du crime qui lui a été imputé, est un homme nommé Dubosq, actuellement en présence d'un jury d'accusation à Pontoise. Une grande ressemblance dans les traits de la figure, a donné lieu à la funeste méprise.

La veuve Lesurques a présenté une pétition au Directoire, pour lui demander, attendu le silence des lois nouvelles sur les réhabilitations, quelle marche elle doit suivre. »

Les témoins qui avaient autrefois identifié Lesurques se rétractent en partie. La famille du guillotiné sollicite à de multiples reprises les autorités afin demander sa réhabilitation. Le comte de Valence Jean-Baptiste de Thiembronne monte particulièrement au créneau, au nom de la famille et pour introduire une proposition de loi de révision des procès criminels. Mais rien n’y fait.

Tout au long du XIXe siècle, le nom de Joseph Lesurques flotte dans le débat public comme emblème des condamnations à tort, comme argument massue des opposants à la peine capitale. En 1851, Charles Hugo est jugé pour avoir écrit un article remettant en cause le principe de la peine de mort. Son père, Victor Hugo, le défend.

« Mon fils, tu reçois aujourd'hui un grand honneur, tu as été jugé digne de combattre, de souffrir peut-être, pour la sainte cause de la vérité.

À dater d'aujourd'hui, tu entres dans la véritable vie virile de notre temps, c'est-à-dire dans la lutte pour le juste et le vrai. Sois fier, toi qui n'es qu'un simple soldat de l'idée humaine et démocratique, tu es assis sur ce banc où s'est assis Béranger, où s'est assis Lamennais !

Sois inébranlable dans tes convictions et, que ce soit là ma dernière parole, si tu avais besoin d'une pensée pour t'affermir dans ta foi au progrès, dans ta croyance à l'avenir, dans ta religion pour l'humanité, dans ton exécration pour l'échafaud, dans ton horreur des peines irrévocables et irréparables, songe que tu es assis sur ce banc où s'est assis Lesurques ! »

Une loi de réhabilitation criminelle sera finalement votée à la moitié de l'année 1867. La famille Lesurques déposera quasi illico un recours en révision afin de blanchir Joseph. En décembre 1868, la Cour de Cassation opposera cependant un ultime refus, à l'issue duquel, de désespoir, la fille aînée Mélanie Lesurques se jètera dans la Seine du haut du pont d’Austerlitz.

En un ultime rebondissement passablement ironique, les travaux récents de l'historien Éric Alary et du lieutenant-colonel de gendarmerie Éric Dagnicourt tendent à remettre en cause l'innocence de Joseph Lesurques qui, sans avoir directement participé au braquage et aux assassinats, aurait très bien pu en être un commanditaire. Son alibi ressemblait en effet fort à un coup monté avec le commerçant, sa ressemblance avec Dubosq n'était que relative, il avait des liens avec les autres accusés...

Une seule chose est sûre cependant : aujourd'hui, en une semblable absence de preuve matérielle, il aurait été relaxé au bénéfice du doute.

Pour en savoir plus :

Éric Dagnicourt, L’Affaire du courrier de Lyon aujourd’hui, Éditions Volum, 2011

Bruno Fuligni, dir., « L’affaire du courrier de Lyon », in: Dans les secrets de la police : quatre siècles d'histoire de crimes et de faits divers dans les archives de la Préfecture de police, L’Iconoclaste, 2008

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