Le procès des Fleurs du Mal en 1857
Chef d’œuvre universel, les Fleurs du Mal et leur auteur, ont à leur parution pourtant fait l'objet en 1857 d'une campagne de presse venimeuse menée par le Figaro avant d'être incriminés pour outrage aux bonnes mœurs et d'être soumis à la censure. Un épisode judiciaire qui aujourd'hui paraît bien incongru...
La campagne de presse virulente du Figaro
Le 5 juillet 1857 Le Figaro publie une critique des Fleurs du Mal paru le 21 juin. Gustave Bourdin commence par présenter Baudelaire comme
« un poète immense pour un petit cercle d’individus dont la vanité, en le saluant Dieu ou à peu près, faisait une assez bonne spéculation ; ils se reconnaissaient inférieurs à lui c’est vrai ; mais en même temps, ils se proclamaient supérieurs à tous les gens qui niaient ce messie. »
En même temps, le journaliste reconnaît qu’il serait « trop injuste d’imputer à M. Baudelaire » l’attitude de ses soutiens. Puis il s’attaque au texte lui-même avec des mots d’une rare virulence : selon lui, « l’odieux y coudoie l’ignoble, le repoussant s’y allie à l’infect », véritable « revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de vermine ». « Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ». Cette diatribe d’un homme influent - Gustave Bourdin était le gendre du fondateur du Figaro - est probablement à l’origine des poursuites judiciaires contre Baudelaire.
Des circonstances particulières
Quand il publie Les Fleurs du Mal, Baudelaire a alors 36 ans et jusqu'ici il n'a publié que quelques ouvrages : deux volumes de critique d'art sur les salons de 1845 et ceux de 1846 sous le pseudonyme de Baudelaire Dufaÿs, ainsi que la traduction des Histoires extraordinaires et des Nouvelles Histoires extraordinaires d'Edgar Poe
Six mois auparavant, Gustave Flaubert a été poursuivi pour Madame Bovary. Après avoir échoué contre Flaubert, le ministère public songe sans doute à prendre une revanche
Ainsi le substitut qui a requis contre Madame Bovary, requiert à nouveau contre Les Fleurs du Mal. La Presse du 4 août 1857 annonce donc que « des poursuites sont intentées à M. Charles Baudelaire pour un certain nombre de pièces de vers faisant partie d’un recueil qu’il vient de faire paraître, et qui est intitulé Fleurs du mal. L’affaire viendra, dit-on, dans une dizaine de jours. ».
Un procès expéditif
L’audience s’ouvre le 20 août 1857 devant la 6e Chambre correctionnelle de la Seine sous la présidence de Jules Charles Dupaty. Le Constitutionnel du 21 août 1857 explique que
« M. Charles Baudelaire, auteur du recueil de poésies intitulé Les Fleurs du mal, et MM. Poulet-Malassis et Debroise, sont traduits devant le tribunal de police correctionnelle, sous la double prévention d’outrage à la morale religieuse, à la morale publique et aux bonnes mœurs. M. l’avocat impérial Pinard a soutenu la prévention. Mes Chaix-d’Est-Ange fils et Lançon ont présenté la défense des prévenus ».
Le Constitutionnel rapporte également le verdict et ses termes, énoncés dès le 21 août. Le tribunal considère que les délits d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs sont bien établis et que les poèmes incriminés « conduisent nécessairement à l’excitation des sens par un réalisme grossier et offensant pour la pudeur. ». Baudelaire est donc condamné à 300 francs d’amende et Poulet-Malassis ainsi que Débroise (les éditeurs) à 100 francs d’amende. Six pièces seront aussi supprimées du recueil comme Les Bijoux ou encore Lesbos. Une nouvelle édition paraîtra en 1861 sans les poèmes interdits. De nombreuses rééditions plus ou moins complètes ou autorisées suivront. La révision du procès n’interviendra qu’en 1949…
Charles Baudelaire (1821-1867)
De retour de l'île Maurice en 1842, un voyage imposé par son beau-père, Baudelaire s'installe à Paris et se signale d'abord pas ses critiques d'art au moment des salons à partir de 1845. À partir de 1847, il traduit les œuvres d'Edgar Allan Poe et participe aux journées révolutionnaires de 1848. En 1860, il publie Les Paradis Artificiels et en 1864 dans Le Figaro des poèmes en prose, Le Spleen de Paris. Atteint de syphilis, il meurt à 46 ans.
Bibliographie
André Guyaux, Baudelaire - Un demi-siècle de lecture des Fleurs du Mal, 1855-1905, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, Paris, coll. « Mémoire de la critique », 2007.
Joseph Vebret, Les Fleurs du Mal - L'œuvre de Baudelaire condamnée, Librio document/inédit n° 91, Paris, 2009.