Écho de presse

Des auberges de jeunesse pour promouvoir « la paix entre les peuples »

le 13/08/2024 par Marina Bellot
le 11/05/2018 par Marina Bellot - modifié le 13/08/2024
Le château de Bierville, dans l'Essonne, où fut ouverte la première auberge de jeunesse en 1929 - source : wikicommons

En 1929, le catholique progressiste Marc Sangnier fonde la première auberge de jeunesse en France avec l'objectif de promouvoir la paix et la fraternité entre les jeunes Européens. Le mouvement connaîtra un grand succès pendant l'entre-deux-guerres. 

« On ne sait d’où tu viens, on ne sait où tu vas, on ne sait qui tu es, mais tu es l’ami ».

La devise du fondateur des auberges de jeunesse en France, Marc Sangnier, résume bien l’état d’esprit dans lequel il a lancé le mouvement en pionnier dès 1929 en France. 

Très marqué par la Première Guerre mondiale, Marc Sangnier est un utopiste. Journaliste et député, c'est aussi un catholique progressiste qui a à cœur de développer l’esprit de fraternité entre les jeunes de différents horizons et nationalités, pensant ainsi enclencher un processus permettant de rétablir la paix dans le monde. 

En Allemagne, le concept existe depuis 1907 et a largement fait ses preuves : des dizaines de milliers de nuitées y sont enregistrées chaque année. 

Marc Sangnier met son projet à exécution dans le village où il habite et où il est élu : Boissy-la-Rivière, dans l’Essonne. Il y achète le domaine du château de Bierville, et y ouvre sa première auberge de jeunesse, bientôt surnommée « le camp de la paix ». Il fonde dans la foulée la Ligue française des auberges de jeunesse.

Dans les années 1930, d'autres ligues voient le jour, notamment le Centre laïque des auberges de jeunesse. Un vaste réseau se met peu à peu en place dans le pays.

Le quotidien socialiste Le Populaire résume parfaitement l'ambition idéaliste de ces ligues :  

« Parmi les raisons qui sont à l'origine de notre mouvement figure, entre autres, la nécessité de faire se rencontrer les jeunes de tous les pays, afin qu'ils apprennent à se connaître, à se comprendre mutuellement, à saisir la vanité et l'erreur des barrières que les nationalismes ont dressées entre eux.

C'est là l'un de nos buts essentiels, et c'est pourquoi une part importante de nos efforts tendra à faire connaître nos auberges à l'étranger, à faire que les jeunes étrangers fréquentent nos auberges, y rencontrent les jeunes Français, nouent avec eux des relations d'amitié, qui, nous l'espérons fermement, se continueront par la voie épistolaire, pour le plus grand bien de notre idéal de mutuelle compréhension entre les peuples sans laquelle aucune action positive pour la Paix ne saurait être efficace. » 

En 1936, la victoire du Front populaire signe le début de l’âge d’or des auberges de jeunesse.

Sous l’impulsion de Léo Lagrange, alors ministre des Sports et des loisirs et fervent soutien du mouvement, tout est mis en œuvre pour que les congés payés deviennent une réalité dans la vie des Français (développement des auberges et campements, billets de train à prix réduits, subventions etc.). Ce sont ainsi 600 000 Français qui partent en vacances en 1936.

Face à l’engouement pour les auberges de jeunesse, les articles et reportages se multiplient.  

La jeune journaliste et romancière Juliette Pary ne cache pas son enthousiasme :  

« Une Auberge : c'est-à-dire un local - n'importe lequel, ferme, grange, maison - aménagé en gîte pour les jeunes : dortoirs pour filles, dortoirs pour garçons, douches, salle à manger, cuisine où l'on peut faire sa popote soi-même. 

En échange d'un prix d'hébergement qui varie de 1 fr. 50 à 4 francs par nuit, on a droit à un lit avec matelas, où le sac de couchage sert de drap. 

Le service est assuré par les voyageurs eux-mêmes, l'ordre et le bon accueil, par le gérant responsable du lieu dénommé père ou mère aubergiste, et qui n'est pas un hôtelier ni un gardien, mais un camarade aîné (et parfois du même âge), installé là à demeure. [...]

Au bout d'une journée de marche, on sera sûr de trouver le gîte, le sourire de la mère aubergiste, les copains inconnus, les chansons connues, l'eau chaude, le bon matelas pour la nuit. »

Le pari est gagné : peu à peu, les auberges de jeunesse s’imposent comme un lieu de mixité sociale. 

En 1937, Le Petit Journal se réjouit de « l'esprit nouveau » qu'a fait naître le mouvement des auberges de jeunesse :

« Qui pouvait songer lorsque s'ouvrit, il y a six ans, à Bierville, la première auberge de jeunesse française, au développement considérable qu'allait prendre chez nous ce mouvement nouveau ? [...]

Aujourd'hui, nul n'ignore plus en France ce qu'est une Auberge de Jeunesse. [...]

Jusqu'à l'année dernière, les Auberges ne furent fréquentées presque exclusivement que par de jeunes intellectuels, instituteurs ou étudiants, ce qui ne réalisait pas le but poursuivi par les fondateurs des A. J., à savoir de réunir les jeunes de toutes conditions et de tous métiers. 

Heureusement, cette regrettable tendance put être enrayée grâce à une intense propagande dans la presse, dans les usines, dans les syndicats. Les ouvriers et les employés n'ignorent plus un mouvement fait pour eux. [...]

L'Auberge c'est cette atmosphère de fraternelle sympathie qui fait vite oublier les contraintes de la vie quotidienne, c'est cette camaraderie que l'on ne trouve nulle part ailleurs, c'est cette vieille tradition de l'hôte et des compagnons du Tour de France qui revit ; l'Auberge c'est tout un esprit nouveau qui est né ! »

L'utopie n'aura pas raison de la guerre : des centaines de milliers de jeunes Européens perdront la vie entre 1939 et 1945.

Les auberges de jeunesse n'en continueront pas moins à se développer après la Seconde Guerre mondiale : la Fédération française compte aujourd'hui 160 auberges et 130 000 adhérents.