Villaplane, capitaine des Bleus et naufragé de la Collaboration
Des pelouses de l’Uruguay au poteau d’exécution du fort de Montrouge, itinéraire d’Alex Villaplane, premier capitaine des Bleus en Coupe du monde devenu chasseur de résistants.
Le 26 décembre 1944, en milieu de matinée, huit membres de la Carlingue, la Gestapo française, sont fusillés au fort de Montrouge. Parmi eux, son chef, Henri Chamberlin dit Henri Lafont, son second, le célèbre policier Pierre Bonny, mais aussi un certain Alexandre Villaplane.
Dans L’Aube, on lit que les huit hommes ont appris le rejet de leur grâce une heure avant l’exécution de la sentence et que la plupart ont accepté le dernier verre de rhum du supplicié :
« Les condamnés, qui refusèrent d’avoir les yeux bandés, furent exécutés en trois groupes, la face tournée vers le peloton. À 10 h 35, la dernière salve retentissait.
Justice était faite. »
Quinze ans avant, Alexandre Villaplane était la star d’une autre rubrique, la rubrique sportive. En juin 1930, ce milieu de terrain fait partie du long voyage qui conduit l’équipe de France, à bord du paquebot Conte-Verde, vers la première Coupe du monde de football en Uruguay.
Un reportage paru après l’événement dans le magazine Match le montre en photo, sautant très esthétiquement dans la piscine du navire :
« Villaplane plonge dans la piscine du Conte-Verde. Quel style ! »
Mais le nom de celui qui a porté le brassard de capitaine lors des trois matchs des Bleus va vite passer de la rubrique sportive à la chronique judiciaire.
En mai 1932, un billet de la loterie espagnole qu’il a acquis avec deux de ses collègues du casino de Nice, où il travaille comme changeur, est dérobé. Montant du butin : 1,5 million de francs, soit environ 1 million d’euros de 2018. Plusieurs des acquéreurs du billet sont soupçonnés de l’avoir volé pour leur compte, dont Villaplane, arrêté, interrogé puis remis en liberté provisoire.
En avril 1933, Le Petit Marseillais feuilletonne sur plusieurs jours l’affaire qui frappe le footballeur, qui vient de participer au premier championnat de France professionnel avec son club d’Antibes :
« Connu, sympathique, son prestige de sportsman et sa physionomie attrayante lui valaient les poignées de mains jalouses de quelques hommes et les sourires de toutes les femmes. »
Dans cette affaire rocambolesque où le billet gagnant passe de main en main sur fond de voyages suspects en Espagne, il finit par bénéficier d’un non-lieu en mai 1934. « C’est une histoire très Côte d’Azur que l’invraisemblable aventure du billet de la loterie espagnole volé à Juan-les-Pins », constate Le Petit Marseillais à l’ouverture du procès devant le tribunal correctionnel de Grasse. « Il est difficile, finalement, dans l’imbroglio des thèses, des versions divergentes et contradictoires, de démêler quelque chose de net. »
Trois personnes sont finalement condamnées à de la prison avec sursis. Mais Villaplane, lui, ne va pas tarder à être mêlé à une nouvelle affaire.
En août 1934, il est, avec d’autres, inculpé pour, cette fois-ci, une étonnant escroquerie hippique : il est accusé d’avoir participé à la substitution discrète d’un cheval de course médiocre, Hallencourt, par un autre bien plus rapide, Écureuil V, afin de réaliser de lucratifs paris lors du prix du Palais-Bourbon à Enghien.
Lors du procès des huit inculpés, qui a lieu devant le tribunal correctionnel de Pontoise en juin 1935, le footballeur écope de six mois de prison, peine confirmée en appel. Paris-Soir raconte :
« Huit personnages qui n’ont pas été en quête d’un auteur pour réaliser la plus fantaisiste des comédies à transformations. Comédie vécue, s’il vous plaît, et qui a bien failli leur rapporter la forte somme.
Dommage que le Code pénal la qualifie d’escroquerie et qu’elle s’achève aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Pontoise où nos huit compagnons, jockeys marrons, entraîneurs décavés, maquignons maquignonnants et lads sans scrupule, comparaissent assistés de ténors du barreau. »
Le Matin se penche sur la défense du joueur professionnel :
« Villaplane se lève à son tour et le président regrette que, joueur de ballon célèbre, ayant porté les couleurs françaises dans les rencontres officielles, il ait roulé de degré en degré.
“J’ai accompagné simplement l’ancien footballeur, mon ami Ramella [l’un des co-inculpés, N.D.L.R.], à Paris”, dit Villaplane, “pour voir si je retrouverais un engagement. J’ai assisté sans doute à des conversations, mais je n’y ai pas participé”. »
Ce procès a interrompu net l’ultime saison professionnelle de Villaplane à l’Hispano-Bastidienne Bordeaux. On ne verra plus son nom qu’à la rubrique faits divers comme lorsqu’en en juin 1940, dans Paris bientôt occupé, il trempe encore dans le cambriolage d’une boutique de chemises : « Radié des fédérations, chassé des sociétés sportives, allant de déchéance en déchéance, il avait déjà encouru deux condamnations », constate Le Matin. Et ces faits divers vont bientôt laisser place à un périple sanglant quand, à sa sortie de prison, Villaplane est recruté par Henri Lafont au sein de la Carlingue.
Début 1944, il est nommé chef de section de la Légion nord-africaine, un groupe anti-maquisards monté par Lafont. Sous le nom de « lieutenant Alex », il participe à plusieurs opérations contre le maquis en Corrèze et en Dordogne, décrites en détail par L’Aube lors de son procès début décembre 1944 :
« Aujourd’hui, les gens de Périgueux sont venus en grand nombre. Tous ne se souviennent que trop du lieutenant Alex et de sa horde de Nord-Africains. [...]
Villaplane pratiquait le chantage à la mort : “Vous allez être fusillé, disait-il à l’une de ses victimes. Mais je suis Français, je veux vous sauver. Donnez-moi 400 000 francs et vous ne serez plus inquiété.” Et c’était l’odieux marchandage jusqu’à ce que le malheureux abandonne une rançon suffisante.
– C’est absolument faux, proteste l’accusé.
Mais un témoin, M. Michel, brandit alors un chèque de 80 000 francs comme preuve irréfutable.
Puis c’est la pathétique déposition d’un vieux patriote dont Villaplane a menacé de fusiller les deux fils s’il ne répondait pas à ses questions :
– La Dordogne, conclut ce témoin, aurait été heureuse de pouvoir juger Villaplane. En son nom, je réclame vengeance.
Devant autant de preuves de ses crimes, Villaplane s’effondre et ne dit plus mot. Il a compris qu’il y avait une justice à laquelle nul ne saurait échapper. »
Ce jour-là, le nom de Villaplane revient dans la chronique sportive du même journal – mais c’est pour tirer les leçons de sa chute :
« Je voudrais que tous les jeunes athlètes méditent l’exemple terrible du lieutenant Alex. Villaplane avait une classe étonnante et pourtant il était faible devant les tentations du luxe et du plaisir. C’est là le mauvais sort contre lequel les dons des fées ne peuvent rien. »