Mai 1898 : Le massacre de Milan
Entre le 5 et le 9 mai 1898, la grève générale en Italie est écrasée dans le sang – une répression sans précédent aux lourdes conséquences politiques.
Printemps 1898. Les Italiens protestent contre la hausse des prix des produits alimentaires et la famine qui sévit dans le pays.
Le 6 mai, des manifestations ont lieu à Milan. La grève générale est décidée et la foule prend le contrôle de plusieurs quartiers de la ville. Le gouvernement riposte en décrétant l'état de siège. L'infanterie, la cavalerie et l'artillerie sont envoyées dans la ville sous les ordres du général Bava-Beccaris. Les soldats font feu sur les manifestants et démolissent les barricades au canon. S'ensuivent deux jours d'affrontements d'une violence extrême.
La presse française relate les « troubles en Italie » – appelés plus tard le massacre de Milan.
Le correspondant de Gil Blas sur place raconte, quasiment heure par heure, la violence des affrontements – avec un parti pris sensiblement pro-gouvernemental :
« Soudain, samedi, vers dix heures et demie du matin, des milliers d'ouvriers s'approchent de Milan par différents côtés et, en même temps, la plupart des grands établissements industriels de la ville ont fermé leurs portes [...]. À onze heures les nouvelles deviennent plus graves encore. Trois mille manifestants — ce sont maintenant des émeutiers — sont entrés par la porte Prince-Humbert, la place Cavour et la rue Palestro, dans le corso Venezia, magnifique avenue bordée de jardins et de palais. La troupe s'est avancée. La cavalerie a sommé les manifestants de se retirer. Nouveau refus. Charge au petit trot. Au même moment, deux coups de revolver partent et une balle blesse à la tête un lieutenant des lanciers de Florence. Le combat s'engage aussitôt.
Les émeutiers envahissent le palais Saporiti, montent aux étages supérieurs et sur les toits, et de là jettent sur la troupe tout ce qui leur tombe sous la main : volets, meubles, tuiles, etc. Un peloton de gendarmes pénètre à son tour dans le palais et la lutte s'engage à l'intérieur de l'habitation. Un émeutier est tué ; trois sont blessés ; on les transporte dans la remise de l'hôtel.
Dans la rue, la cavalerie continue à déblayer la voie publique et à contenir l'émeute, l'empêchant de pénétrer plus avant dans la ville. [...]
Les émeutiers arrachent les enseignes des maisons, pénètrent dans quelques-unes d'entre elles, montent sur les toits et jettent de là haut, sur la troupe, des volets et des tuiles.
Ceux qui sont restés dans la rue s'emparent dans les boutiques de caisses vides et, avec des barres de fer, soulèvent les pavés, qu'ils jettent dans les caisses. Tout cela constitue un commencement de barricades.Mais la situation se gâte. Les tuiles jetées des toits atteignent non seulement les soldats, mais les civils. Un gamin de douze ans en reçoit une à la tête et tombe baigné dans son sang qui ruisselle sur le trottoir. Les soldats le ramassent. Une dame est appuyée au mur, un filet de sang tombe de sa poitrine sur sa robe ; elle va défaillir. Deux soldats la prennent sous les bras et l’emmènent. »
Comment expliquer un tel déferlement de violence ? Le Petit Marseillais résume ainsi la situation :
« L’Italie est depuis quelques jours le théâtre de troubles d’une incontestable gravité ; leur origine, en tout cas, semble discutée : en effet, tandis que beaucoup considèrent cette agitation comme le résultat naturel de la misère qui va croissant dans la Péninsule, par suite de la cherté des vivres ou des difficultés du travail, d’autres y voient un violent mouvement révolutionnaire qui, lentement mûri, se fait brusquement jour. Nous prononcer sur les deux hypothèses serait peut-être prétentieux. »
Selon le gouvernement, il y eut 118 morts et 450 blessés ; 400 morts et plus de 2 000 blessés, selon l'opposition.
Arrestations, procès, dissolution d’organisations socialistes et catholiques, interdiction de 110 journaux et emprisonnement de leurs directeurs... Les suites du massacre de Milan sont terribles.
Face à la pression populaire, le premier ministre Antonio di Rudinì est contraint de démissionner en juillet, mais le général Bava-Beccaris est fait grand-croix de l'ordre militaire de Savoie pour avoir rendu « un grand service au roi et à l'Italie ».
Les répliques de ce séisme politique et social se font sentir en 1900 : le 29 juillet 1900, le roi Humbert Ier est assassiné par l'anarchiste Gaetano Bresci, revenu des États-Unis, dit-il, pour venger les victimes du massacre de Milan.