La pratique féminine du football du XIXe siècle à aujourd’hui
Très tôt adopté par des militantes pour l’égalité des sexes, le football féminin a pourtant souvent été ignoré – ou moqué – par les autorités sportives traditionnelles. À quoi tient la prétendue « virilité » inhérente à ce sport ?
Cet article est paru initialement sur le site de notre partenaire, le laboratoire d’excellence EHNE (Encyclopédie pour une Histoire nouvelle de l’Europe).
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Le football émerge comme discipline sportive durant la deuxième partie du XIXe siècle en Angleterre. Le jeu est alors réservé à une élite sociale exclusivement masculine : les élèves des public schools, établissements d’enseignement privés et non mixtes.
C’est entre 1850 et 1900 que le football se diffuse dans les îles Britanniques, se démocratise, se professionnalise et devient un spectacle.
Dès la fin des années 1890, des militantes pour l’égalité des sexes commencent à organiser des premières rencontres de football féminin. Cependant, le football se construit comme un véritable fief de la virilité, laquelle s’exprime alors à la fois dans la pratique, dans les tribunes et dans les commentaires médiatiques sur le jeu.
« À Nice, un arbitre est molesté par des joueurs », L’Humanité, 1932
Dans ce contexte, le football reste difficilement accessible aux femmes, d’autant qu’il est accusé d’altérer et de viriliser leurs corps, voire de provoquer la stérilité et de favoriser le lesbianisme.
Sur le continent, où le football masculin s’est implanté depuis la fin des années 1890, la Première Guerre mondiale joue un rôle important dans les débuts de sa féminisation. En effet, le conflit brouille les frontières entre le masculin et le féminin : la violence du champ de bataille malmène la virilité de corps pourtant endurcis par le sport et les travaux de force, tandis que la soi-disant fragilité corporelle des femmes est contredite par leur mobilisation croissante pour l’effort de guerre à l’arrière.
La fin du conflit inaugure l’organisation en France des premiers matchs féminins en avril 1918, à l’initiative du club Femina sport, créé cinq ans plus tôt. Ils s’inscrivent dans une dynamique européenne : des premières rencontres se tiennent en Autriche et en Suisse au tout début des années 1920.
« Les jeunes filles se mettent aussi au football », Le Miroir, 1919
Au lendemain de la guerre, les associations sportives masculines, dont les effectifs augmentent considérablement, reprennent à leur compte les discours médicaux, s’inscrivant ainsi dans le contexte conservateur, antiféministe et nataliste de l’époque. Il s’ensuit une véritable offensive contre le football féminin : en décembre 1921, la fédération anglaise de football interdit à ses associations affiliées de soutenir le football féminin.
Une année plus tard, la fédération belge l’imite et des journalistes conservateurs font entendre leurs réprobations en France. Des arguments moraux – les parties de football donneraient une mauvaise image des femmes et les détourneraient de tâches importantes de la vie familiale – sont également avancés par les dirigeants du football masculin pour entraver le possible développement de la pratique féminine.
« La jeune fille sportive », article paru dans le journal des sports Match, 1934
Le football féminin résiste mais sa pratique est désormais marginale. Dans le même temps, le football masculin est instrumentalisé par les régimes autoritaires soucieux d’exalter la force conquérante de corps virils et un imaginaire national masculin.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la démocratisation et la scolarisation du sport féminin favorisent l’essor du football féminin, en particulier dans les pays du bloc communiste. En République fédérale d’Allemagne, la victoire remportée par l’équipe nationale masculine à la coupe du monde de 1954 suscite un nouvel engouement populaire et la création de clubs féminins.
Certes moins nombreuses, des rencontres féminines sont également organisées en Angleterre, en Autriche et aux Pays-Bas. Cependant les fédérations nationales et internationales – dont les dirigeants sont exclusivement masculins – se montrent toujours opposées au développement du football féminin ; ils tiennent à préserver ce fief de la virilité.
À partir de la seconde vague féministe des années 1970, la dénonciation de la domination masculine et la revendication de l’égalité des sexes et de la libre disposition de leur corps par les femmes, donnent des arguments pour dénoncer le genre du football et renverser les obstacles à sa féminisation. Aussi la question du football féminin est-elle, pour la première fois, débattue lors des sessions de l’assemblée générale de l’Union des associations européennes de football (UEFA) de 1971.
Dans les années suivantes, et malgré la pesanteur de certains conservatismes, l’UEFA, sous l’impulsion des dirigeants des pays scandinaves, prend des mesures. En 1982, elle crée un championnat d’Europe, dont l’épreuve de 1989, disputée en Allemagne, rencontre un succès populaire. Dans le même temps, celui du football masculin ne cesse de croître, soutenu par une forte médiatisation et commercialisation.
Cette visibilité accrue et la starification des joueurs renforcent le caractère viril de ce sport, surtout dans les milieux populaires. Le footballeur professionnel devient un symbole de réussite sociale et véhicule des représentations plurielles de la masculinité.
Depuis le début du XXIe siècle, le football féminin se banalise. Selon le rapport annuel de l’UEFA pour l’année 2013-2014, le nombre de licenciées a quadruplé en un quart de siècle et dépasse le million dans l’ensemble des associations membres. Le statut de certaines footballeuses s’améliore. En 2011, les joueuses du championnat d'Angleterre obtiennent ainsi un statut semi-professionnel. Un club comme l’Olympique lyonnais place le football féminin au cœur de sa stratégie de développement, démarche suivie depuis peu par d’autres clubs, comme le Paris Saint-Germain ou Arsenal Football club.
Cependant, le football féminin commence à peine à être médiatisé et la majorité des joueuses ne sont pas (ou peu) rémunérées. L’arbitrage demeure un bastion masculin et les femmes brillent par leur absence dans les organigrammes des clubs et des organisations nationales ou internationales.
Corinne Diacre, première femme à entraîner une équipe professionnelle masculine en France, pourtant élue à la fin de l’année 2015, meilleur.e entraîneur.e de Ligue 2 par l’hebdomadaire France Football, essuie de nombreuses attaques sexistes.
Enfin, certains prétendent que le niveau de jeu – malgré ses progrès – ne peut être véritablement comparé à celui des meilleurs joueurs.
En conséquence, un fossé symbolique et pratique sépare toujours les footballs masculin et féminin, et les footballeuses continuent de devoir incessamment prouver que la pratique d’un sport de tradition masculine n’entrave pas leur féminité et n’a aucun impact sur leur identité sexuelle.
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Cet article, rédigé collectivement par Philippe Vonnard, Grégory Quin et Anaïs Bohuon est paru initialement sur le site de notre partenaire, le laboratoire d’excellence EHNE (Encyclopédie pour une Histoire nouvelle de l’Europe).
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Pour en savoir plus :
Bayle, Emmanuel, Jaccard, Émilie, Vonnard, Philippe, « Synergies football masculin et féminin : vers un nouveau modèle stratégique pour les clubs professionnels européens ? », in: Revue européenne de management du sport, vol. 39, no 1, 2013, p. 1-25
Breuil, Xavier, Histoire du football féminin en Europe, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011
Williams, Jean, Globalising Women’s Football : Europe, Migration and Professionalization, Berne, Peter Lang, 2013