Archives de presse
La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939
Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.
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Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste en Europe à l’émergence d’un mouvement ouvrier uni à vocation internationale. Celui-ci promeut, pour la première fois, une forme d’entraide entre travailleurs de tous les pays pour lutter contre le grand capital.
Nicolas Delalande est historien. Il enseigne l’histoire contemporaine à Sciences Po Paris et travaille principalement sur les mouvements ouvriers européens du XIXe siècle. Il est l’auteur de La Lutte et l’entraide, l’âge des solidarités ouvrières, paru au Seuil au début de l’année 2019.
En amont de ses interventions au festival L’Histoire à venir, nous sommes revenus sur les différentes formes de solidarité ouvrière et syndicale internationales ayant pris place en Europe au XIXe siècle et au début du XXe.
Propos recueillis par Julien Morel
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Nicolas Delalande sera présent au festival L’Histoire à venir qui aura lieu à Toulouse du 23 au 26 mai 2019.
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RetroNews : Quand apparaissent les premières actions collectives de solidarité entre des groupes ouvriers de pays différents ? Comment se manifestent-elles et selon quelles modalités ?
Nicolas Delalande : Des contacts et des échanges existent dès la première moitié du XIXe siècle, notamment lors des épisodes révolutionnaires (en 1830, en 1848) et au sein de sociétés formées par des ouvriers et des exilés politiques (à l’image de la ligue des Justes, fondée en 1836, qui devient en 1847 la ligue des Communistes).
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La fondation à Londres en septembre 1864 de l’Association internationale des travailleurs marque un tournant. Un peu partout en Europe, des associations ouvrières, des chambres syndicales se forment et entrent en relation grâce à cette nouvelle institution. Les grèves se multiplient à partir du milieu des années 1860 en Angleterre, en France, en Suisse, en Belgique, etc. Les ouvriers sont encore faiblement organisés à l’échelle nationale. C’est pourquoi des souscriptions sont lancées pour tenter de récolter des fonds, à la fois localement mais aussi par-delà les frontières. Les syndicats anglais apportent par exemple leur aide aux ouvriers du bronze parisiens en 1867 ; les ouvriers parisiens font ensuite de même avec des travailleurs belges ou suisses qui se mettent en grève.
L’habitude est prise d’en appeler à la solidarité ouvrière internationale pour soutenir les luttes sociales, aider les militants poursuivis par la justice et offrir un refuge à ceux contraints de quitter leur pays, comme après la répression de la Commune.
Que recouvrent les mots de « lutte » et d’« entraide » au moment où ceux-ci sont utilisés par les mouvements ouvriers du XIXe siècle ?
Les termes de fraternité, d’entraide ou de solidarité sont utilisés de manière indistincte à cette époque. Ils recouvrent à la fois des valeurs, des pratiques et des combats collectifs. Les fondateurs de l’Association internationale des travailleurs font le constat que les luttes ouvrières sont vouées à l’échec si elles ne sont pas coordonnées, y compris par-delà les frontières. L’appel du manifeste du parti communiste en 1848 (« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ») n’avait pas vraiment été suivi d’effets.
Dans les années 1860, on passe aux travaux pratiques, ce qui soulève un certain nombre de difficultés. Une des questions qui divise les ouvriers internationalistes porte sur la nécessité ou non d’institutionnaliser la solidarité. Tous font cependant le lien entre la capacité des ouvriers à s’aider de manière réciproque, et leur chance de l’emporter lorsqu’ils se mobilisent pour une grève ou une cause politique.
À la fin du XIXe siècle, la solidarité internationale est un mot d’ordre qui s’est imposé au sein du mouvement ouvrier (sans pour autant éliminer toute forme de défiance ou d’hostilité vis-à-vis des étrangers). C’est ce qui explique, par exemple, l’adoption par la Deuxième Internationale (fondée en 1889) du 1er mai comme journée internationale des travailleurs. La date commémore la répression violente des manifestations de Haymarket Square à Chicago en 1886, et fixe une revendication commune aux ouvriers du monde entier, pour l’obtention de la journée de huit heures. Elle est l’un des symboles de cette solidarité internationale tout au long du XXe siècle.
De quelle façon les mouvements utopistes se sont-ils imbriqués au sein du mouvement ouvrier ? À partir de quel moment leur aura tend-elle à diminuer au profit d’une lecture marxiste « orthodoxe » ?
Dans les années 1860, le mouvement ouvrier est encore très divers sur le plan idéologique. L’Association internationale des travailleurs regroupe bien sûr des militants proches de Karl Marx et de Friedrich Engels, mais on y trouve aussi des ouvriers influencés par les idées anarchistes de Pierre-Joseph Proudhon ou Mikhaïl Bakounine, des syndicalistes anglais partisans du self help, des membres issus des courants coopérateurs, héritiers des idées du socialiste Robert Owen par exemple. La dimension collectiviste est présente, mais elle n’est pas majoritaire. Dans les congrès de l’Association, on discute aussi bien du crédit ouvrier, des coopératives de production et de consommation, du rôle des associations, de la suppression de l’héritage ou de l’abolition de la propriété privée.
Marx joue un rôle majeur dans l’organisation, mais il est aussi très contesté, et ses idées sont loin d’être connues et partagées par tous. Le premier volume du Capital ne paraît qu’en 1867, précisément à cette période. Il faut du temps pour qu’il soit traduit, lu, compris et interprété. Le « marxisme », en tant qu’idéologie constituée, ne se structure que plus tard, dans les années 1880-1890, après la mort de Marx en 1883.
La Deuxième Internationale en est, à partir de 1889, un puissant vecteur de diffusion, sous l’impulsion notamment des sociaux-démocrates allemands, qui animent le débat sur les contours du marxisme « orthodoxe » lors de la célèbre querelle du « révisionnisme » qui oppose Eduard Bernstein et Karl Kautsky dans les années 1890. Mais le marxisme est loin de s’être imposé dans toutes les franges du mouvement ouvrier. L’anarchisme reste très vivace, surtout dans les années 1890-1900, et il existe en France une myriade de sensibilités socialistes (guesdistes, broussistes, alémanistes, anarcho-syndicalistes, etc.) jusqu’à l’unification accomplie lors de la création de la SFIO en 1905.
Au XXe siècle, le projet révolutionnaire initial s’est, comme on le sait, mué en de nombreuses réformes sociales. Ces « réformes » étaient-elles voulues par les premiers mouvements ouvriers ou désiraient-ils purement et simplement abolir le régime capitaliste ?
Les aspirations initiales étaient plurielles et contradictoires. Les syndicalistes anglais qui rejoignent le mouvement international dans les années 1860 sont loin d’être anticapitalistes, par exemple. Ils veulent d’abord améliorer la situation sociale des travailleurs, par les vertus de l’association et de la lutte collective. Dans ces années, beaucoup partagent l’idée selon laquelle l’émancipation ouvrière passe par la conquête de l’autonomie, ce qui suppose de se déprendre de l’emprise exercée par l’État et par le grand capital. Les syndicats sont conçus comme le lieu où les ouvriers défendent leurs droits et accèdent aux secours collectifs.
Il n’existe pas encore, à l’époque, de protection sociale garantie par l’État. C’est pourquoi les associations ouvrières proposent à leurs membres des prestations variées, en cas de maladie, d’accident, de vieillesse ou de voyage. Au début du XXe siècle, les syndicats sociaux-démocrates d’Allemagne constituent un puissant réseau de solidarités pour les nombreux ouvriers qui les rejoignent.
À mesure que les tendances révolutionnaires s’affirment au tournant du siècle, on voit aussi apparaître les premières législations sociales destinées à protéger les ouvriers des risques de l’existence. Les assurances sociales obligatoires créées par le chancelier Bismarck dans les années 1880 marquent une rupture. Conçues pour fragiliser les sociaux-démocrates allemands, qui font alors l’objet de poursuites sévères, elles produisent l’effet inverse. En France, en Italie, en Angleterre, des franges réformatrices de la bourgeoisie plaident en faveur de l’adoption de lois sociales (assurances sur les accidents du travail, retraites ouvrières, dimanche chômé, etc.) pour repousser la « menace » collectiviste. Les débats sont vifs au sein du mouvement ouvrier : faut-il coopérer et négocier pour améliorer les droits des travailleurs, ou vaut-il mieux refuser toute discussion avec les représentants du capitalisme bourgeois ? La complexité des problèmes soulevés à l’ère industrielle oblige de plus en plus souvent à faire appel à l’État.
Pour la journée de huit heures ou la régulation internationale des migrations, les militants même les plus révolutionnaires se tournent vers la puissance publique. Tout l’enjeu porte sur la structure sociale de l’État : à court terme, il reste solidaire des intérêts bourgeois, mais les progrès électoraux des socialistes permettent d’espérer à moyen terme de le mettre au service des intérêts du peuple. L’autre voie, celle de la révolution, se manifeste une première fois en Russie en 1905, puis en 1917.
La distinction entre les socialistes réformistes et les communistes révolutionnaires s’enracine après la Première Guerre mondiale. Le mouvement ouvrier international comporte alors trois pôles : l’anarchisme est toujours bien présent, mais déclinant ; les communistes sont en pleine ascension, grâce à l’écho reçu par la révolution de 1917 et à la création du Komintern en 1919 ; les socialistes réformistes, quant à eux, recréent une Internationale socialiste et essaient, aux côtés de syndicalistes, de promouvoir les droits des travailleurs au sein des nouvelles organisations fondées à l’issue du traité de Versailles, à l’image d’Albert Thomas qui prend la direction générale du Bureau International du Travail.
On assiste depuis la fin des années 1980 à un délitement progressif droits acquis notamment grâce à ces mouvements ouvriers. Quelles leçons peut-on tirer des mouvements d’entraide internationaux du XIXe siècle à l’heure où il semble nécessaire de les réactiver ?
L’internationalisme ouvrier a joué un rôle crucial de la fin du XIXe siècle aux années 1970. Même si les ouvriers ont acquis une grande partie de leurs droits au sein de chaque État-nation (en matière notamment de santé, de protection sociale et de droit du travail), c’est la vigueur de cet idéal internationaliste qui a donné énergie et crédit à leurs revendications. Qu’il fût réformiste ou révolutionnaire, le mouvement ouvrier exerçait une pression sociale et politique avec laquelle les gouvernements étaient obligés de composer.
Les grandes dates de l’histoire des grèves en France (1919, 1936, 1947, 1968) s’inscrivent toutes dans des moments d’intense contestation à l’échelle internationale. Les syndicats étaient la pointe avancée de cette solidarité ouvrière internationale, comme l’illustrent encore les campagnes organisées pour protester contre le coup d’État au Chili en 1973, ou pour soutenir les syndicalistes polonais en 1980-1981.
Depuis les années 1980, la désindustrialisation, la dérégulation libérale et les attaques portées contre les syndicats ont atomisé la représentation des mondes ouvriers et populaires. L’idéal internationaliste s’est lui aussi essoufflé, même s’il renaît sous d’autres formes depuis la fin des années 1990, à travers l’alter-mondialisme, la lutte contre le changement climatique ou la critique des inégalités. Tout l’enjeu consiste à construire les soubassements populaires de ce nouvel âge de l’internationalisme, sous peine de voir les replis nationalistes et identitaires continuer leur inquiétante progression un peu partout dans le monde.
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Nicolas Delalande sera présent au festival L’Histoire à venir, qui aura lieu à Toulouse du 23 au 26 mai 2019. Il participera aux événements suivants :
- La Lutte et l’Entraide. L’âge des solidarités ouvrières
- L’impôt, une « contribution commune » ?
- Altercapitalismes : s’émanciper par la coopération ?