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Danseuse, elle casse les codes classiques ; amoureuse, elle se moque des genres… La fin tragique d’Isadora Duncan est l’occasion pour la presse de rappeler quelques épisodes de la vie de cette femme hors du commun.
Le 15 septembre 1927, la presse française se fait l’écho de la mort accidentelle d’Isadora Duncan à Nice. Dans ce décès soudain, c’est d’abord l’aspect tragique qui frappe les esprits : la grande danseuse américaine aurait en effet succombé étranglée par sa propre écharpe.
« Avant que la voiture se mit en marche, elle rejeta vivement sur son épaule gauche un des longs pans de son châle. Ce simple geste devait être cause du terrible accident.
Les franges du châle glissèrent entre le pare-boue gauche arrière et la carrosserie, puis s'insinuèrent entre le tambour du frein et les rayons de la roue. La voiture démarra. Les franges s'entortillèrent autour du tambour du frein, puis le pan du châle. La malheureuse fut si brusquement surprise qu'elle n'eut pas le temps de pousser un cri.
La secousse avait été si rude que la colonne vertébrale avait été rompue et la mort instantanée.
Ce fut si brutal et si rapide, que le chauffeur, M. Folchetto ne s’aperçut de rien. Lorsqu'il vit sa cliente s'affaisser sur les coussins, il crut qu'elle avait été prise d'un léger malaise. Il s'arrêta, mais déjà, il n'avait plus à côté de lui qu'un cadavre. »
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Certains journaux se plaisent à rapprocher cette tragédie de celles qu’a connues la danseuse tout au long de sa vie : les décès de Deirdre et Patrick, ses deux enfants, en 1913, suivis du suicide de son mari, le poète russe Sergueï Essenine, en 1925.
« Épouse du jeune poète russe Essenine, Isadora Duncan avait perdu son mari dans des circonstances tragiques.
Plus tard, l'accident est encore présent à toutes les mémoires, l'auto dans laquelle se trouvaient ses deux enfants se mit en marche seule et tomba dans la Seine, où les enfants furent noyés. »
Dans la surenchère de pathos qui entoure l’accident, d’autres quotidiens rappellent notamment le « pressentiment » d’une amie.
« Au moment où Mme Isadora Duncan se levait de table pour sortir, Mme Desty voulut l'en empêcher : “Je vous en supplie, dit-elle, ne sortez pas ce soir. J'ai le pressentiment d'une catastrophe.”
Mme Isadora Duncan plaisanta son amie et, malgré son insistance, s'en alla. Elle traversa la promenade et se dirigea vers l'automobile qui l'attendait devant la porte de son studio. La voiture n'avait que deux places : celle du chauffeur à droite et, à coté, légèrement en retrait, celle d'un passager.
M. Folchetto se mit au volant, tandis que Mme Isadora Duncan s'asseyait à sa gauche. La danseuse portait, enroulé deux fois autour de son cou, un grand châle vénitien à longues franges. »
Mais au milieu du sensationnalisme, nombreux sont les journalistes qui rappellent son extraordinaire carrière dans la danse, révolutionnant les codes très traditionnels de l’époque. En rejetant les formes classiques, Isadora Duncan choque par sa modernité : le corps libre est au centre de son œuvre.
Pas de pointes ni de tutu donc, mais quelques voiles ou une nudité totale pour retrouver les mouvements des danseurs grecs de l’antiquité et permettre une renaissance de cet art.
« Isadora Duncan avait créé une nouvelle formule de danse. Elle fut longtemps et souvent discutée.
En toute justice il faut reconnaître qu'il y avait là un effort d'art considérable et nombreux sont ceux qu'elle a émus par la grâce de ses mouvements, par l'harmonie des lignes qu'elle réalisait. Elle avait pris comme modèle les attitudes des danseuses grecques, étudiées sur les bas-reliefs ou sur les vases anciens. À ces attitudes figées par le sculpteur ou le peintre elle avait donné le mouvement.
Le résultat qu'elle obtenait, seule, était déjà de rare qualité ; il prit toute sa signification lorsque Isadora Duncan, ayant créé une école, put, par des ensembles, donner de plausibles reconstitutions de ces danses anciennes qui par leur mesure, leur élégance robuste étaient comme l'élan spontané de la vie à travers le corps. »
Même ses détracteurs lui rendent hommage. Car Isadora Duncan, en révolutionnant les corps guindés de la danse officielle, a évidemment bousculé la morale et le « bon goût » de l’époque.
« Ceux-là même qui, autant que moi, contestent la valeur intrinsèque de sa réforme s'inclineront devant le caractère héroïque de son action et l’envergure exceptionnelle de sa personnalité dont le rayonnement fut universel.
La prodigieuse aventure de cette jeune Américaine, missionnaire d'une esthétique nouvelle, partie pour évangéliser le monde, reste sans pareille dans l'histoire de la danse, voire dans celle du théâtre. »
L’autre révolution occasionnée par la danseuse, c’est son rapport à la musique, dont elle s’affranchit là encore des codes ; il lui arrivait par ailleurs de danser sans musique, au rythme de ce qu’elle appelait ses « mélodies intérieures ».
« Nous touchons là à la plus grande surprise que causa la tentative duncanienne. Isadora renonça aux carrures symétriques et à la pulsation régulière de la musique de danse proprement dite et plongea résolument dans le flot de la symphonie.
Elle dansa Chopin et Brahms, les symphonies de Beethoven, les opéras de Glück et les “lieds” de Richard Wagner. Elle flotta voluptueusement sur l'onde sonore, obéissant aux suggestions du rythme, subjuguée, telle une somnambule, par le fluide musical. […]
Rien de ce que nous appelons aujourd’hui danse rythmique ou plastique n’eût été possible sans elle. On lui doit le principe même, fût-il contestable, de cette nouveauté et le triomphe, fût-il éphémère, de ce principe.
Tout ce qu'une génération a voulu ou rêvé en fait de danse a été accompli grâce à elle – ou contre elle; jamais en dehors d'elle. »
Pour Isadora Duncan, il en va dans la vie comme dans la danse et elle ne s’est jamais laissé dicter ses choix ni amoureux, ni politiques. Communiste revendiquée, elle a également des relations avec de nombreux hommes : le décorateur de théâtre Gordon Craig et l’héritier des machines à coudre Paris Singer – ce sont les pères de ses deux enfants –, l’aviateur Roland Garros qu’elle rencontre juste avant qu’il ne soit abattu en 1918 puis le poète soviétique Sergueï Essenine (de 18 ans son cadet), qu’elle épouse.
Elle tombe également amoureuse de plusieurs femmes, dont les plus célèbres sont la danseuse Loïe Fuller, la poétesse Mercedes de Acosta, et sans doute la comédienne Eleonora Duse. Révolutionnaire, elle épouse la cause bolchévique et s’installe à Moscou de 1922 à 1924 où elle fonde sa troisième école de danse (après celle de Paris et de Grünewald en Allemagne).
La danseuse se tenait également très éloignée des religions officielles ; ses enfants ont, par exemple, eu droit à des obsèques païennes.
« Je suis une païenne, avait répondu Isadora Duncan au brave prêtre de Neuilly qui était accouru pour lui offrir ses consolations.
Ce n’est, pas dans votre ciel que je reverrai mes enfants : ce sera dans tous les beaux spectacles de la Nature, dans tous les beaux gestes des hommes, dans toutes les grandes œuvres – je ne veux aucune église : le cœur d'une mère est plus profond que tous les temples. »
L’urne qui contient ses cendres repose aujourd’hui au columbarium du Père Lachaise, à côté de celles de ses enfants.
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Pour en savoir plus :
Isadora Duncan, La Danse de l’avenir, Éditions Complexe, 2003 ( réed.)
Isadora Duncan, Ma vie, Gallimard, 1969 (réed.)