Hors-série « faits divers »
« Les Grandes Affaires criminelles de la région »
En partenariat avec RetroNews, « Sud Ouest » publie un hors-série consacré à neuf faits divers qui se sont déroulés entre 1870 et 1986 en Nouvelle-Aquitaine
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En 1873, Louis Nicolardot publie pour la première fois le Journal de Louis XVI, archive aujourd'hui bien connue pour le fameux « Rien » commentant le 14 juillet 1789. Barbey, homme de lettres redouté, analyse alors pour Le Figaro les notes du dernier souverain de l’Ancien Régime.
Depuis 1873, on a beaucoup débattu sur la valeur qu'il fallait accorder au Journal de Louis XVI et aux informations qu'il contient. Si l'idée d'un journal de chasse a fini par prévaloir – elle y tient en effet une place prépondérante – il faut vraisemblablement plutôt considérer que le roi s'en servait comme couverture.
La domesticité du souverain pouvait se référer au journal pour renseigner les curieux qui s'intéresseraient de trop près à sa vie privée. C'était une sorte d'agenda officiel, qu'il mettait au propre à la fin de chaque mois, éventuellement avec l'apport de notes provenant d'autres personnes, notamment des officiers de la vènerie du roi pour les précisions sur les chasses. Il ne faut donc pas trop le prendre au pied de la lettre. Lorsque d'autres sources permettent la comparaison, on peut surprendre le roi en train de donner des informations imprécises, voire complètement fausses.
Il était loin d'être le seul à en agir ainsi. Le journal du favori de Marie-Antoinette Axel de Fersen, par exemple, est tout aussi mensonger. La prudence est donc de mise lorsque l'on étudie les journaux intimes, qui n'ont souvent d'intime que le nom.
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Malgré tout, la mise au jour de ce journal marquait une étape importante car une véritable chape de plomb avait recouvert la mémoire de Louis XVI lors des régimes qui ont suivi la Révolution : la Restauration en avait fait un roi faible et pieux, la Monarchie de Juillet et le Second Empire, un bon père de famille qui comprenait mieux les valeurs domestiques que la politique.
Ce n'est paradoxalement que la IIIe République qui permit une libération partielle de cette mémoire à travers l'exhumation d'un certain nombre d'archives. On avait connaissance de l'existence de la plupart d'entre elles, mais le climat politique faisait que l'on ne tenait pas trop à les sortir des cartons.
Jules Barbey d'Aurevilly, écrivain conservateur et grand ami du critique et éditeur dudit Journal Louis Nicolardot, insista bien sur ce point dans le compte rendu de la parution qu’il fit pour Le Figaro, le 27 janvier 1873.
Le célèbre homme de lettres explique ainsi que la découverte n'était « pas bien difficile à faire. Il ne fallait qu'aller aux manuscrits de la Bibliothèque nationale », où déjà « bien des gens étaient passés ».
« Ils avaient dû certainement aviser l'objet, dans son coin, sommeillant, mais ils n'avaient pas osé réveiller le chat qui dormait, car c'était pour eux un chat que ce manuscrit roulé et tapi dans son carton, qui aurait sauté à la figure de leurs idées, de leurs manières de voir, de leurs portraits et qui les aurait mis en pièces ! »
Ils étaient peu nombreux ceux qui, à l'instar de Barbey, tenaient à faire émerger une image plus juste de Louis XVI. L'écrivain établissait en effet ce constat :
« Après sa mort, révolutionnaires et royalistes ont écartelé sa mémoire, les uns pour diminuer le crime du coup de hache et les autres pour le grandir.
Pour les uns, Louis XVI, aux gros yeux de bœuf, au front fuyant, à la lourde encoulure, n'a guère plus que la stupidité de la victime destinée, dès le début de son règne, à être l'hécatombe de la royauté.
Pour les autres, au contraire, il est la radieuse bonté de l'Innocence dans la providentielle attente d'un martyr accepté et souffert en expiation des crimes qu'il n'a pas commis.
Mais tout cela est franchement trop bête ou trop ange. »
C'est donc avec une grande jubilation, et dans le splendide style qui est le sien, que l'auteur des Diaboliques donnait son sentiment enthousiaste sur la publication de Nicolardot. Il espérait qu'elle permettrait d'en finir avec « ce roi auquel on avait voulu donner des mœurs bougeoises, car on voulait à toute force qu'il fût un bon bourgeois dans sa maison, le dos au feu, le ventre à table » ou « souriant béatement en habit groseille comme dans les portraits sur porcelaine de sa manufacture de Sèvres ».
C'était le portrait de Louis XVI par Joseph Boze que l'on trouvait reproduit partout, un portrait qui le représentait en imbécile. Le roi l'avait commandé pour des raisons stratégiques de ruse politique, mais le XIXe siècle fit mine de le prendre pour un portrait ressemblant.
Le Louis XVI de Barbey est bien différent de celui que l'on se représentait alors et que, à bien des égards, on se représente toujours.
Il ironise ainsi sur l'image du roi pieux, abondamment diffusée au XIXe siècle, en constatant qu'il « n'a pas passé un seul jour de son règne sans noter pieusement (pieusement envers lui-même) » ce qu'il avait fait. Ce n'est pas non plus un roi particulièrement vertueux et c'est surtout un roi actif et passionné :
« Le Louis XVI du journal n'est ni si vertueux (l'est-on sans combat ?) ni si inerte. Il est très actif au contraire. […]
Ce vertueux inerte fut un passionné. »
Barbey se réjouissait surtout du qualificatif de « Nemrod » choisi par Nicolardot, car la chasse tient pleinement lieu de substitut de la guerre pour lui : « le couteau de chasse est un bout d'épée », « il entendait la chasse par masses comme Bonaparte entendait la guerre ».
Louis XVI était donc un roi faussement pacifique et c'est sur le champ de bataille qu'il aurait pu donner le meilleur de lui-même :
« Vous auriez vu Louis XVI à Fontenoy [grande bataille du règne de Louis XV], si de son temps il y avait eu un Fontenoy. »
Mais Nemrod porte aussi une autre connotation. Il est également perçu comme le modèle du rebelle, celui qui se rebelle contre Dieu. Et cela parle certainement beaucoup à Barbey, qui veut faire de Louis XVI un passionné qui « a laissé aller bas la monarchie parce qu'il avait sa passion, son absorbante passion ».
Rebelle contre la monarchie, le roi l'aurait volontairement abandonnée parce qu'il avait trouvé bien mieux que la monarchie. Barbey conclut surtout par une énigmatique formule, « Le sang de Louis XVI est plus rouge que le sang de ceux qui l'ont tué... », qui invite à la réflexion.
L'écrivain était assurément un très fin connaisseur de Louis XVI, si bien qu'il perçoit dans le journal ce que nul autre n'y voit et, il faut bien l'avouer, bien plus que ce ce document révèle réellement.
Mais le roi de Barbey ouvre des perspectives stimulantes. Ce monarque guillotiné, nous le connaissons finalement encore bien mal.
–
Aurore Chéry est historienne, chercheuse associée au laboratoire LARHRA. Elle travaille sur une biographie de Louis XVI à paraître, et est notamment coauteure des Historiens de garde, de Lorant Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national (éditions Libertalia).