1901 : l'horreur des camps de concentration anglais
Les frictions s'accentuent, et en octobre 1899, la guerre éclate, opposant les Boers aux forces de l'Empire britannique venues soutenir les immigrants anglais, dirigées par le général Frederick Roberts, puis par Lord Kitchener. C'est sous leurs ordres que sont mis en place des camps de concentration, ou « camps de reconcentration » comme on les appelle alors.
Kitchener mène au Transvaal une politique de la terre brûlée afin de priver les combattants boers de ravitaillement. Parallèlement, il aménage des camps dits de « protection » pour les femmes, les enfants et les vieillards dont les fermes ont été brûlées. Fin 1901, 118 000 femmes et enfants boers et 43 000 Noirs fidèles aux insurgés sont internés dans une quarantaine de ces camps afin d'y être « protégés ».
En réalité, des conditions inhumaines leur sont imposées. Privations, épidémies, rougeole, typhoïde, dysenteries, grippes provoquent une terrible mortalité. La presse française, anglophobe et largement favorable à la cause des Boers, dénonce dès l'été 1901 l'existence de ces lieux.
Le 23 août, Le Siècle publie un rapport officiel d'une commission anglaise examinant les causes de mortalité dans les camps :
« Les causes principales des maladies, dont une telle mortalité est la conséquence sont : les difficultés qu'ont eu à éprouver et les privations qu'ont eu à supporter les familles boers après qu'elles ont été expulsées de leurs fermes [...] ; la fréquente insuffisance, parfois la mauvaise qualité de la nourriture qui est distribuée ; souvent aussi une alimentation de la population enfantine peu adaptée à ses besoins ; la grande différence de température entre le jour et la nuit ; la protection inefficace contre le froid qu'offrent les tentes à la population [...] ; le manque de vêtements et de couverture ; l'insuffisance des installations pour les malades et des pharmacies ; l'insuffisance du personnel médical et hospitalier dans les camps. »
Le 18 novembre, Le Figaro publie le témoignage accablant d'un soldat qui « pendant onze mois combattit dans les rangs boers » :
« Je suis allé, moi, dans ces camps de reconcentration, j'ai voulu, avec mes faibles moyens, adoucir quelques souffrances, donner du pain à ces malheureuses femmes que la faim tenaillait, et j'en fus empêché par des bourreaux qui me déclaraient qu'on en faisait déjà trop pour elles ; — j'ai vu un enfant mourant sous les yeux de sa mère, sans qu'on eût rien tenté pour le sauver, sans que le moindre médicament eût été mis à la disposition du médecin qui, une fois, avait, consenti à examiner le pauvre petit.
On envoie, me dites-vous, des provisions de toutes sortes pour les réfugiés. Voulez-vous savoir ce qu'on en fait ? J'ai vu de mes yeux des soldats anglais défonçant à grands coups de pied des boîtes de lait condensé destinées aux femmes et aux enfants des Boers, et s'écrier en voyant leur contenu se répandre sur le sol : "Voilà toujours des vivres qui n'engraisseront pas ces bandits !" »
Le 26 novembre, Le Journal publie un éditorial intitulé « Le massacre des innocents ». L'article est écrit en réaction à la publication dans la presse britannique de la photographie d'une petite fille boer, Lizzie van Zyl, au corps atrocement amaigri suite à son internement dans un camp. Le Journal décrit la photo comme « plus effroyable qu'aucune vision de cauchemar » et rend hommage à la lutte d'Emily Hobhouse, une infirmière britannique qui mène au même moment une campagne active contre les camps de concentration :
« Miss Emily Hobhouse nous a dépeint l'atrocité de leur détresse ; elle nous a fait pénétrer dans ces enfers où plus de 37 000 êtres humains agonisent ; elle a mis les nations civilisées à même de juger ce que le pharisaïsme de M. Chamberlain osa qualifier : "institutions de bienfaisance et de philanthropie". »
Avant de résumer ce dont la Britannique a été témoin en Afrique du Sud :
« Qu'elle décrive ces abris de toile, sans lits, sans meubles, où des familles de sept à huit personnes, rongées d'une fringale perpétuelle, vêtues de haillons, halètent dans la température torride du jour, qu'elle nous conduise à ces ambulances où sévit la typhoïde, la tuberculose, où des mères, séparées de leurs six enfants, ne sachant ce qu'ils sont devenus, accouchent du septième pour le voir bientôt expirer, où les cercueils manquant, on enterre dans des sacs ; qu'elle nous fasse assister aux brutalités des soldats envers les prisonnières […], aux expulsions, aux arrachements du foyer, à la dispersion du groupe familial, miss Emily Hobhouse garde ce ton qui bien plus impressionne que les tirades déclamatoires. »
Les camps de concentration anglais ne sont pas les premiers de l'Histoire : en 1896, le général espagnol Valeriano Weyler, découvrant une nouvelle utilisation du fil de fer barbelé, en fit construire à Cuba pour regrouper les paysans des zones rebelles.