Bertrand de Jouvenel, reçu par le sénateur quelques jours avant son assassinat, en avait tiré un portrait ondoyant dans les colonnes de Paris-Soir :
« À peine l'un d'entre nous a-t-il poussé la porte de la galerie que je m'arrête, m'exclamant : – Mais je connais cette voix !
Géante, frappant durement de ses syllabes brutales la vaste verrière, c'est une voix qui fouette le sang comme fait le spectacle d'un combat de boxe. Il y a des ‘h’ qui soufflent comme un soufflet de forge, et des ‘ll’ qui s'abattent comme un marteau sur de l'acier. C'est la voix d'Hitler.
Mais non ! Comment ai-je pu me tromper à ce point ! C'est une voix bonhomme, cordialement ironique, la voix d'un Pantagruel en gaîté. Elle se fait gentiment railleuse, avec une nuance d'attendrissement. Puis, comme un envol brusque, lourd et criard, de canards sauvages, elle est rauque, âpre, durement agressive.
Ce n'est pas une voix, c'est tout un orchestre. »
Un Hitler, Huey Long ? En tout cas, pas de la même livrée. Le Monde Illustré croque le moderne tribun du peuple au pays de Barnum :
« Dans l'assemblée collet-monté des sénateurs américains, il fut vite remarqué par sa mise et ses manières débraillées.
Il fit sensation avec un costume couleur de sable, avec sa chemise rose et sa cravate bleu ciel. Le peigne devait rarement toucher ses cheveux, et toujours il semblait avoir dormi trois nuits de suite sans se déshabiller.
Long parlait en employant les tournures très familières, voire vulgaires. Ses plaisanteries firent rougir ces pudiques messieurs, qui, d'autre part, ont supporté les tapes qu'il leur donna sur l'épaule ou sur le ventre. Sa jovialité ne fut jamais troublée par des regards désapprobateurs, son franc-parler ne s'embarrassa d'aucune considération de bienséance. »
Mais sa popularité semble n’avoir cure de ses méthodes et accoutrements. Son éloquence et son programme lui assurent un large soutien. Son programme ? La redistribution des richesses, comme dans le titre de son mouvement Share our Wealth – Every Man a King, par une indexation drastique des fortunes, l’imposition lourde du capital, la réduction du temps de travail, la généralisation des pensions et une politique de grands travaux. Le tout assorti de versets bibliques.
Paris-Soir présentait en 1935 sa plateforme, « ni de gauche ni de droite » :
« Je vais vous dire ce que je veux. Je veux le bien-être du peuple. Je veux qu'il n'y ait ni richesse excessive, ni pauvreté excessive.
Grâce à mon programme d'une nouvelle répartition de la richesse, chaque homme sera un roi et celui qui est roi est également un père pour son pays. […]
Je connais les besoins de mon peuple parce que j'en suis moi-même. »
Il s’appuie sur trois textes fondateurs : son programme « Chaque homme un roi », la Déclaration d’indépendance et la Bible car, dit-il, « tout ce qu’on y trouve est certain et ne sera jamais démenti tant que vous, ou vos enfants, vivrez ».
À Bertrand de Jouvenel qui l’interrogeait, Long se défend d’être de gauche ou de droite :
« Je déteste le fascisme et les collectivistes ne m'aiment pas […]
Les capitalistes me haïssent parce que je veux leur enlever ce qu'ils ont de trop pour le donner à nos miséreux, et les socialistes m'en veulent parce que je ne tiens pas du tout à détruire le capitalisme.
Je ne suis pas un disciple de Lénine, moi. »
Tandis que le journaliste relève ses similitudes avec Adolf Hitler, le Kingfish rétorque :
« - Ah ! oui, mais je n'aime pas le fascisme, moi ! En mangeant des caramels il attire à lui une grande boîte de caramels, en écrase trois dans ses doigts, les fourre dans sa bouche.
- Bougrement bons, dit-il. Vous en voulez ?
Se fourrant des caramels dans la bouche continuellement, il poursuit :
- C'est stupide, la chasse aux Juifs ! Ça distrait le public de la bataille qui est vraiment dans ses intérêts, la bataille contre les profiteurs du régime, les grands manieurs de capitaux. »