L’évolution démographique de Paris au cours de la première moitié du XIXe siècle est-elle aussi problématique que ne l’a présentée l’historien Louis Chevalier en 1958, dans son célèbre livre Classes laborieuses et classes dangereuses ?
Pour dépeindre une capitale débordée par des flots de migrants, Louis Chevalier s’appuie notamment sur des témoignages littéraires. C’est un type de sources à prendre avec beaucoup de précaution, d’autant que lui-même a écrit un autre livre moins connu qui dépeint une vision moins dramatisante : La Formation de la population parisienne, publié huit ans auparavant, basé plutôt sur une approche statistique.
Si la vie était si terrible à Paris, on peut se demander pourquoi les migrants continuaient d’y affluer, or l’attractivité de la capitale est constante et même croissante au cours du XIXe siècle : alors qu’au départ l’immigration provient surtout du nord-est de la France, il en vient ensuite également de Bretagne, du Massif central et de départements méridionaux ou de l’étranger. Il y a évidemment des inconvénients à vivre à Paris, mais l’accès à l’emploi dans de nombreux secteurs spécifiques et à diverses institutions (écoles, hôpitaux, etc.) est sans pareil.
Chevalier utilise beaucoup le taux de suicide comme indicateur, nettement plus élevé à Paris qu’ailleurs, mais il s’agit en fait d’un phénomène urbain que l’on constate partout au XIXe siècle car, le suicide devant être déclaré, à la campagne où tout le monde se connaît on déclare beaucoup plus rarement un suicide, encore très tabou, alors que dans une grande ville l’anonymat limite fortement ce biais. On peut mentionner également les sources hospitalières : l’enregistrement des malades que l’on soigne fait que les statistiques augmentent, mais ne signifie pas qu’il y a proportionnellement davantage de malades qu’ailleurs, où ils restent dans la sphère privée et échappent aux archives. En histoire sociale, les sources sont elles-mêmes biaisées par les pratiques sociales propres à chaque lieu.
Ce qui est en revanche incontestable, ce sont les ravages des grandes épidémies, au premier rang desquelles s’impose le choléra en 1832 et 1849, voire 1857. Paris souffre d’un entassement humain considérable cumulé à un sous-équipement des infrastructures - les égouts et l’assainissement de l’eau potable notamment. Les Parisiens puisent l’eau de la Seine alors que les déjections y sont rejetées… Le développement du réseau d’égouts est l’une des grandes réalisations de l’haussmannisation, mais encore à la fin du siècle, où c’est désormais surtout la tuberculose qui fait rage, les indicateurs sanitaires de Paris restent moins bons que ceux d’autres grandes villes européennes de taille comparable (Berlin, Vienne, Londres).