Rita Hayworth, la star ultime des années 1940
Danseuse devenue star de cinéma, Rita Hayworth entra dans la légende hollywoodienne avec ses rôles dans Gilda (1946) et La Dame de Shanghaï (1947). La presse française d’après-guerre s’enflamma pour celle que les États-Unis surnommaient « la déesse de l’Amour ».
De toutes les vedettes féminines de l’âge d’or d’Hollywood, elle fut probablement celle qui déchaîna le plus les passions. A une époque où l’industrie du cinéma américain prospérait, Rita Hayworth fut d’abord le pur produit d’un star-system ultra-compétitif, avant de gagner ses galons d’actrice avec une poignée de rôles devenus mythiques.
Née Margarita Carmen Cansino en 1918, elle naît dans une famille aux origines espagnole, irlandaise et anglaise. Elle connaît une enfance tragique : son père, professeur de danse alcoolique et violent, abuse d’elle jusqu’à ses seize ans. Les conséquences psychologiques seront terribles pour la future actrice et Margarita en restera marquée toute sa vie.
Exigeant d’elle un travail intensif, son père l’enrôle dans la troupe de danse familiale, les « Dancing Casinos ». Malgré son immense timidité, Margarita excelle sur scène et elle est repérée à quinze ans par le vice-président de la Fox. Elle tourne son premier film, L’Enfer, en 1935, et enchaîne plusieurs rôles dansants, incarnant le plus souvent des jeunes filles « exotiques » : Mexicaine, Égyptienne voire Russe...
A la même époque, elle se marie avec Edward Judson, un homme d’affaires tyrannique qui l’exploite et lui impose des changements physiques, éclaircissant sa chevelure et modifiant son implantation capillaire pour la transformer en parfait archétype de la beauté américaine. Sous l’influence du patron de la Columbia Pictures, le despotique Harry Cohn, Margarita Cansino devient ainsi Rita Hayworth.
Enchaînant les séries B, elle se fait finalement remarquer avec le film de Howard Hawks Seuls les anges ont des ailes. Arènes sanglantes, en 1941, confirme son statut : elle commence à faire la Une des magazines et accède au rang de sex-symbol. Un cliché en particulier, publié dans Life en 1941, va faire sa renommée : elle y apparaît agenouillée sur un lit en déshabillé de satin. L’image, reproduite à des millions d’exemplaires, accompagne les G.I. américains engagés dans la Seconde Guerre mondiale.
En France, contexte international oblige, elle reste peu connue, même si Marie-Claire, en avril 1940, commente les tenues de celle qui passe pour « la femme la mieux habillée de la capitale du cinéma » :
Il faut attendre la fin de la guerre pour que sa célébrité franchisse l’Atlantique. En avril 1945, Rita Hayworth fait la Une de V, le magazine illustré du mouvement de résistance le MLN.
Lorsqu’elle partage l’affiche avec Fred Astaire dans L’Amour vient en dansant et Ô toi ma charmante, Cinévie estime pourtant que « sa technique est plus de charme que de virtuosité. Elle a été élue star préférée des G.I. pour 1945. C’est plus à sa plastique de pin up girl qu’à son talent qu’elle le doit. »
En mai 1946, le même journal annonce que Rita Hayworth est train de terminer le tournage d’un film signé Charles Vidor, intitulé Gilda. La revue se demande si le film aura l’approbation du fameux code Hays, le code de censure en vigueur à Hollywood :
« La censure a fait savoir au metteur en scène de Gilda, Charles Vidor, que sa principale interprète devrait "s’abstenir de prendre des attitudes provocantes, en particulier de mettre les mains sur ses hanches en avançant le buste". Charles Vidor protesta. La censure tint bon. »
La censure en sera pour ses frais : Gilda, sorti en 1947 en France, sera l’un des films les plus sensuels jamais tournés à l’époque. Un statut qu’il doit en particulier à une scène qui deviendra culte : celle où Rita Hayworth interprète « Put the Blame on Mame » en ôtant progressivement l'un de ses longs gants noirs. Avec ce morceau de bravoure, l’actrice crève l’écran et entre dans la légende.
Pourtant, en France, les critiques de l’époque sont plutôt sévères à l’encontre de Gilda. Georges Sadoul, dans Les Lettres françaises, note par exemple en juin 1947 :
« Gilda, beaucoup plus invraisemblable que Casablanca, est infiniment plus ennuyeux.
Dans un scénario qui est un modèle de stupidité se mêlent érotisme et tungstène, espions, nazis et intrigues sentimentales. Luxueusement photographié par l'opérateur Maté, ce film ne réveillera (peut-être) ses spectateurs qu'au moment où Mme Hayworth enlève voluptueusement son gant noir. »
Devenue une immense star, Rita Hayworth est à la même époque l’objet de l’attention médiatique pour son mariage avec Orson Welles, célébré en 1943 (la jeune femme a divorcé d’Edward Judson en 1942). Le réalisateur de Citizen Kane est alors au firmament et leur couple s’affiche sur les Unes du monde entier.
Mais en réalité, à cause des absences répétées de Welles, leur union bat de l’aile. Et les deux mariés sont en train de divorcer lorsqu’ils tournent ensemble le film qui restera à la fois le sommet de la carrière de Rita Hayworth, et l’un des chefs-d’œuvre absolus du cinéma américain : La Dame de Shanghaï.
Pour ce film noir à l’atmosphère vénéneuse, Welles décide de casser l’image de la vedette préférée de l’Amérique d’après-guerre : la rousse la plus célèbre d’Hollywood apparaît dans le film blonde et les cheveux courts.
Le film fera un flop aux États-Unis, le public n’appréciant pas le changement physique de l’actrice. Qu’importe : à sa sortie française en décembre 1947, La Dame de Shanghaï sidère la critique par son scénario millimétré et sa perfection plastique.
Combat écrit par exemple :
« Il est impossible de parler de "La Dame de Shanghai" comme on parlerait d’un quelconque autre film. Pas plus qu’on ne peut parler du "Bruit et de la Fureur" comme on parlerait de n’importe quel roman [...].
Orson Welles et son ex-femme Rita Hayworth sont les deux principaux interprètes de ce film. Et à les voir marcher côte à côte dans une rue de Shanghaï : lui, la carrure massive, le front lourd et le regard buté ; elle, toute frêle et petite, on comprend qu’après plusieurs années de vie commune, Rita Hayworth ait fini par se séparer de son mari en déclarant que "c’est trop fatigant de vivre à côté d’un génie".»
Même si ce sont d’abord les qualités de réalisation qui sont vantées dans la presse, plusieurs journaux saluent la performance de l’actrice. Cinévie écrit en janvier 1948 :
« Orson a fait à Rita le plus beau cadeau de rupture imaginable. Outre des cheveux d’or, il lui a offert un rôle où elle a montré pour la première fois qu’elle savait jouer la comédie. »
La Gazette provençale ajoute :
« Jusqu’à présent Rita Hayworth était surtout une danseuse et une chanteuse, dans La Dame de Shanghaï, grâce à la direction et à la présence de son mari Orson Welles, elle est aussi une comédienne remarquable. Saura-t-elle le rester ? »
Mais Rita Hayworth, à partir de Gilda, fera surtout la une pour sa vie privée tumultueuse - et souvent malheureuse : « Les hommes s’endorment avec Gilda et se réveillent avec moi », disait-elle avec amertume à propos de son image de séductrice, à mille lieues de la réalité. En 1949, son mariage avec le prince Ali Khan déchaîne les tabloïds, mais aussi la presse généraliste : « Le prochain mariage de Rita Hayworth consterne Hollywood », titre par exemple Paris-Presse en janvier.
Le journaliste Jacques Siclier le notera dans Le Monde en 1982, en faisant référence à la célèbre scène finale de La Dame de Shanghaï, dans laquelle le visage de l’actrice se voit multiplié dans une série de miroirs bientôt brisés :
« Rita Hayworth n’a jamais été aussi belle que dans La Dame de Shanghai, allongée sur un rocher, pendant une baignade en mer ou courant dans la nuit mexicaine, vêtue d’une robe blanche féerique. Mais Orson Welles l’avait parée pour ses funérailles et le désastre était irréparable.
Le massacre dans les miroirs fut celui d’un mythe qui ne se releva jamais. »
Rita Hayworth eut pourtant quelques beaux rôles dans les décennies 1950 et 1960, par exemple dans La Blonde ou la rousse en 1957, Tables séparées en 1958 ou Le Plus grand cirque du monde en 1964. Surtout, fait rare à l’époque, elle accepta de vieillir à l’écran.
La fin de sa vie sera marquée par une nouvelle tragédie : dès les années 1960, victime de la maladie d’Alzheimer, elle décline irrémédiablement. La maladie est mal connue à l’époque et son entourage la croit victime d’une addiction à l’alcool : elle ne sera diagnostiquée qu’en 1980. Elle meurt le 14 mai 1987, à l’âge de 68 ans.
-
Pour en savoir plus :
Barbara Leaming, Rita Hayworth : biographie, Presses de la Renaissance, 1990
Adrienne L. McLean, Being Rita Hayworth : labor, identity, and Hollywood stardom, Rutgers University Press, 2004