Yannick Ripa est professeure en histoire politique et sociale de l’Europe du XIXe siècle. Elle s’intéresse aux objets dits en marge de l’histoire du féminin (folie, violence, séduction) et au rôle tenu par le genre dans la construction des modèles politiques et des guerres.
Membre du jury du festival international du film d'histoire de Pessac, l'historienne participera le samedi 19 novembre à la conférence Patriarcat : la domination masculine est-elle une fatalité ?.
Propos recueillis par Flora Etienne
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RetroNews : Comment s’explique la popularité de Cléo de Mérode ?
Yannick Ripa : Sur la scène de l’Opéra où elle est entrée comme « petit rat » à l’âge de sept ans, Cléo de Mérode (1875-1966) se distingue rapidement de ses camarades, non par son talent de danseuse, mais par sa grâce et la régularité de ses traits. Au sortir de l’adolescence, sa beauté subjugue, nimbée de mystère : la jeune femme semble incarner l’innocence – lèvres closes, sourire à peine ébauché, regard perdu –, alors même qu’elle est l’objet de bien des fantasmes masculins ! Sa beauté, popularisée par la vogue des cartes postales dites fantaisies : photographiée par Nadar et Reutlinger, habillée par les plus grands couturiers, elle devient une figure de la Parisienne. Modèle pour les élégantes, celles-ci adoptent sa coiffure à bandeaux – dont les mauvaises langues murmurent qu’ils cacheraient un manque d’oreilles ! –, laquelle accentue l’allure préraphaélite de la danseuse.
Cette popularité aurait pu être éphémère, ou bien limitée. C’est un processus de peopolisation – terme bien sûr anachronique –, mélange de gloire et de scandales, qui explique son statut d’icône de la Belle Epoque : à vingt ans, on lui prête une liaison avec le vieux roi des Belges Léopold II ; au printemps 1896, elle remporte le concours de « La plus jolie de nos actrices »; mais, quelques jours plus tard, on la traîne dans la boue pour avoir posé nue, prétend-on, pour la statue La Danse du sculpteur Falguière, exposée au salon des Champs-Elysées. Pourtant, cette publicité sulfureuse lui vaut sa renommée, bientôt mondiale, et les peintres tels Toulouse-Lautrec et Boldini ne s’attachent, eux, qu’à sa sublime beauté.