8 avril 1908. Le quotidien L’Aurore ouvre un débat sur le nu au théâtre. La veille, une lettre a été adressée au Procureur de la République concernant les représentations données dans les cafés-concert de la capitale. À en croire le journal « il n'est presque pas de café-concert qui n'ait offert cet hiver sa femme nue ».
Dans les mois qui précédent la parution de l'article qui suit, les artistes de music-hall et de théâtre s’exhibent de plus en plus fréquemment dans des tenues de plus en plus audacieuses et divisent l'opinion. Assiste-t-on à un « dévoiement » du sixième art ou à un excès de pudeur du public ?
La romancière Colette Willy, elle-même sifflée quelques mois plus tôt pour avoir dévoilé ses jambes nues sur scène, donne son opinion rapportée dans cet article de L'Aurore, le 8 avril 1908.
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Nous avons signalé hier, en nous y associant, la protestation de M.Berenger contre l'exhibition de « femmes entièrement nues ». Elle a ému le parquet qui a chargé M.Leydet, juge d’instruction, d'ouvrir une enquête . Des commissaires de police se sont rendus dans divers établissements pour constater ces exhibitions délictueuses. Ils ont rempli leur mission et ont admiré, au nom de la loi. les formes des actrices trop dévêtues - sauf dans un music-hall où la direction avait donné l'ordre de revêtir d'un maillot les femmes qui, d'ordinaire, se contentaient d'une gaze trop transparente. Ces « artistes » seront, parait-il, poursuivies pour outrage public à la pudeur, les directeurs étant considérés comme complices.
Les avis du public sont, il faut bien le dire, assez partagés sur cette question. Ce spectacle vous déplaît, disent les uns, vous le jugez immoral : abstenez-vous d'y aller ou si vous ne saviez pas qu'il dût être aussi scandaleux, retirez-vous à temps.
À quoi d'autres personnes objectent que les autorités ne sauraient se désintéresser totalement de la moralité publique. C'est une affaire de salubrité. Il est des spectacles que les esprits les plus larges ne sauraient tolérer et il est une limite que la liberté des mœurs ne saurait dépasser. D‘ailleurs, l’art n'est en rien intéressé en ces affaires. Il ne s'agit que de lubricité. On fait bien d’intervenir et d'interdire ces pitoyables exhibitions.
Ce n’est point l'opinion de Mme Colette Willy qui ne comprend point la « pudeur locale » ; elle s'étonne qu'on éprouve plus de gêne « à montrer un peu de ses cuisses qu'un peu de sa poitrine ». Elle n'approuve donc pas l'initiative du sénateur Bérenger, à moins qu'elle n'ait pour résultat d'éloigner les femmes laides, fatiguées, de la scène ; car Mme Willy aime la beauté ! En vérité, nul n'attendait de Mme Colette Willy une défense des principes de la rigoureuse vertu kantienne.
Un de nos confrères a eu l'idée de demander son avis sur la question à Anatole France. Sur le point précis qui est cause, l'auteur de la Rôtisserie de la Reine Pédauque se récuse ; car il n'est point un habitué des cafés-concerts, music-halls et autres lieux où l'on assiste à des poses trop plastiques. Mais il ne pense pas que le nu soit indécent au théâtre.
- Alors l'intervention du sénateur Bérenger vous paraît inopportune, demande notre confrère ?
- J’estime, répond l'auteur de Crainquebille, qu'il y a un ensemble d'idées sur lesquelles le législateur n'a pas à intervenir. Dans un ordre de choses aussi délicat, il faut laisser au sentiment moyen des foules le soin de se prononcer. Il n'y a pas de morale absolue, et c'est le goût du public qui doit être souverain.
« De quel droit le législateur trouverait-il obscène une exhibition qui n'offusque personne et contre laquelle les gens ne protestent pas.
« Admettre une semblable intervention, ce serait du calvinisme... et nous ne sommes pas à Genève.
Sans doute ; mais il est permis néanmoins de considérer que même à Paris, certaines « exhibitions » heurtent les sentiments du public et qu'il convient d'intervenir pour les faire cesser.