Séquence pédagogique

Roubaix : genèse d’un monde ouvrier

le par - modifié le 15/02/2024
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Roubaix, ville-champignon ? L’essor exceptionnel de cette ville industrielle du Nord de la France tout au long de la période contemporaine a façonné une société urbaine singulière autour du travail du textile, qui a lourdement pesé sur la vie des ouvrières et des ouvriers. En se penchant sur Roubaix, abondamment évoquée dans la presse régionale et nationale, les élèves peuvent plonger dans l’histoire industrielle mais aussi dans l’histoire sociale ou environnementale de la ville du Nord.

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Quatrième (L'Europe et le monde au XIXe siècle : L'Europe de la « révolution industrielle »)

Première Générale (L’industrialisation et l’accélération des transformations économiques et sociales en France)

Première technologique (Les transformations politiques et sociales de la France de 1848 à 1870 - la transformation de l’économie et de la société sous le Second Empire, régime autoritaire (industrialisation, urbanisation, essor du chemin de fer)

Première, voie professionnelle (États et sociétés en mutations, Hommes et femmes au travail en métropole et dans les colonies françaises - XIXe siècle - première moitié du XXe siècle)

Introduction 

Dans le Nord de la France, Roubaix est un riche observatoire de l’industrialisation qui a bouleversé le pays et l’Europe pendant toute la période contemporaine. Elle a fait battre le cœur de la ville aux XIXe et XXe siècle. Située à proximité de la frontière belge, elle a connu un essor exceptionnel : elle est souvent qualifiée de ville-champignon, au même titre que sa voisine Tourcoing ou de la plus méridionale Saint-Etienne. En s’étendant, en se densifiant et en se transformant, elle s’est affirmée comme ville du travail textile : de 8000 habitants à la fin du XVIIIe siècle, la population roubaisienne est passée à 125 000 habitants à la veille de la Première Guerre mondiale. Les ouvriers et les ouvrières sont majoritaires parmi sa population. En se penchant sur Roubaix, abondamment évoquée dans la presse régionale mais aussi nationale, les élèves peuvent plonger dans l’histoire industrielle mais aussi l’histoire sociale ou environnementale de la ville du Nord.

L’essor spectaculaire de l’industrie du textile

La morphologie de la ville est profondément marquée par le développement industriel. L’espace urbain est peu hiérarchisé, et l’extension de la ville s’effectue au gré de l’installation des usines. La croissance immobilière est le fait d’une multitude de petits investisseurs.

La ville est traversée par un canal éponyme, le canal de Roubaix : déjà pensé par Vauban, sa construction ne débute que dans les années 1820, en progressant par tronçon tout au long du siècle.

« Roubaix est le centre principal de la fabrication des étoffes de laine dans le département du Nord. Cette ville n'est qu'une immense fabrique. En 1839, quoiqu'elle ne vint que de naître, sa population s'élevait déjà à 19,400 habitans, et aujourd'hui elle a atteint le chiffre de  24,800. La production industrielle a suivi une progression plus rapide encore. Jusqu'en 1825, la fabrication de Roubaix s'était bornée à des étoffes de coton de peu de valeur ; c'est vers 1833 qu'elle se dirigea vers le tissage des étoffes de laine, et bientôt le métier à la Jacquart y devint d'un usage général. C'est de cette époque que date véritablement le grand développement industriel de Roubaix, que datent ses plus belles manufactures, ses produits où le mérite de l'exécution se joint à celui de la conception. C'est ainsi qu'aux étoffes pour pantalons, dans la fabrication desquelles on fit entrer successivement la laine et le fil, se joignit le stoff ; vinrent ensuite les manteaux, les satins laine, les pékins, les damas pour meubles et tentures, etc. » 

- Extrait du journal Le Moniteur industriel, 3 octobre 1844.

Question :


Comment l'évolution de l'industrialisation de la ville de Roubaix est-elle décrite dans l'article du Moniteur industriel publié en 1844 ?

« L'achèvement du canal de Roubaix a été, dans les derniers jours de 1876, pour nos départements du Nord, un véritable événement, et l'ouverture à la batallerie de cette voie de communication a donné aux industries houillères et métallurgiques, comme au commerce, une satisfaction depuis longtemps attendue.

Roubaix, simple chef-lieu de canton, a pris depuis quelques années l'importance d'une ville de second ordre. La succursale de la Banque de France établie à Roubaix occupait, en 1875, le septième rang parmi les soixante-quatorze établissements de ce genre ouverts sur les différents points de la France ; des places comme celles de Toulouse, Reims, Nîmes, Montpellier, ne donnent pas lieu à un aussi considérable mouvement de capitaux que Roubaix. Chaque semaine il entre à Roubaix 600 tonnes de laine brute, dont une moitié est trasnformée en tissus et l'autre moitié en fils. »

- Extrait du journal Le Français, 17 janvier 1877

Question :


En quoi l’ouverture du canal de Roubaix accompagne-t-elle l’essor de l’industrie roubaisienne ?

Les nuisances occasionnées par l’activité des usines ont très tôt été dénoncées ; la pollution des cours d’eaux cristallise les débats. Si elle est un sujet récurrent pendant plusieurs décennies dans la presse régionale, le cas de Roubaix est considéré comme emblématique au niveau national.

« Depuis toujours, l'Espierre sert d'égout aux communes voisines de son lit. En outre, il reçoit les eaux résiduaires des usines de Roubaix et de Tourcoing. Comme ces usines utilisent des eaux extraites de forages profonds, le volume des eaux charriées par l'Espierre a augmenté progressivement jusqu'à environ 100.000 mètres cubes par jour, ce qui est à peu près tout ce qu'il peut débiter. Aussi l'Espierre déborde-t-il après chaque pluie intense ou prolongée.

Or, ses eaux sont extrêmement polluées par le lavage des laines et renferment des quantités considérables de graisses, de débris organiques qui se putréfient facielement et dégagent des odeurs nauséabondes. Lors de chaque inondation, ces produits se déposent dans les habitations riveraines, empestent les villages et détruisent les pâturages, d'où, naturellement, frais considérables de dommages-intérêts.

Cette situation qui se prolonge et s'aggrave depuis un demi-siècle a provoqué des réclamations multiples, celles des riverains d'abord, organisés en syndicat de défense [...] . »

- Extrait du journal Le Matin, 14 février 1934

Question :


Comment la pollution des eaux due à l’industrie est-elle décrite et dénoncée ?

Outre les nuisances des usines et leurs effets sur la santé de la population roubaisienne, les conditions de travail des ouvriers et des ouvrières étaient particulièrement difficiles. Les journées de travail étaient longues et concernaient aussi les enfants ; les accidents étaient nombreux. La mortalité y était bien plus forte qu’ailleurs, en raison de la misère et de ses conséquences :  la difficulté du labeur, l'insalubrité des logements ou encore l'alcoolisme, la sous-alimentation ou encore les maladies.

II. Une ville dévoreuse d’hommes et de femmes ? Le besoin de main d’œuvre et l’immigration

Étudier le passé industriel de Roubaix n’oblige pas à restreindre le regard à l’échelle locale : le besoin de main d’œuvre a entraîné des vagues de migration à plusieurs échelles, tout au long de la période de prospérité économique et de développement industriel. Le pôle textile roubaisien a d’abord rayonné sur la région, entraînant un exode rural et attirant les Belges. Les campagnes environnantes et l’appui sur les ouvriers locaux suffisent jusqu’aux années 1830 et 1840. Les ouvriers d’origine étrangère ont pu se joindre aux luttes sociales au sein de ce bastion socialiste, comme ce fut le cas des Belges.

« Le maire de la ville de Roubaix croit utile d'engager les ouvriers d'origine étrangère qui ont cessé le travail à regagner leurs foyers en attendant que les question débattues en ce moment entre ouvriers et patrons aient reçu une solution. Ils trouveront chez eux des moyens d'existence qui leur manqueraient ici, et ne seront pas exposés à se compromettre dans des manifestations qui pourraient entraîner pour eux l'expulsion du territoire français par mesure administrative. »
- Extrait du journal Le Figaro, 10 mai 1880.

 

Question :


Que révèle cet extrait du journal Le Figaro portant sur la participation des ouvriers belges aux grèves de Roubaix en 1880 ?

Le recrutement s’est ensuite élargi, atteignant une envergure internationale. Cette immigration a notamment été alimentée par la réserve d’hommes que représentait l’empire colonial français.

Dans l’entre-deux-guerres, ce recours aux travailleurs de l’empire colonial s’intensifie, notamment ceux en provenance d’Afrique du Nord. Il se prolonge pendant les Trente Glorieuses, dans la perspective de participer à la reconstruction du pays. Les immigrés européens et nord-africains restent les plus nombreux.

Cultures roubaisiennes et monde ouvrier

La population ouvrière roubaisienne, majoritaire au sein de la société urbaine, est à l’origine de l’émergence de cultures et de sociabilités singulières. Outre l’usine, la vie dans les courées renvoie à la nature des liens qui ont pu se tisser au sein du monde ouvrier, composant avec la proximité voire la promiscuité, la densité du bâti et l’insalubrité.

Il était difficile pour la majorité des travailleuses et les travailleurs de quitter la ville, le travail occupant le temps. Les journées de travail sont longues, les kilomètres carrés alentours sont eux aussi densément bâtis. Les sociabilités prennent donc aussi pour décor Roubaix l’industrielle, se glissant dans les interstices laissés par les journées de labeur. Le sport et le développement des clubs ont marqué l’histoire de la ville, qui est l’un des plus importants centres sportifs du Nord pour le football, la gymnastique ou encore la boxe. Le cyclisme est emblématique de la ville, notamment pour la course Paris-Roubaix.

Question :


Comment la place grandissante de Roubaix en matière de cyclisme est-elle évoquée  dans le journal La Vie au grand air du 1er novembre 1898 ?

Outre le sport, la musique et les spectacles se développent, notamment les chorales ou encore le théâtre. Le patois roubaisien est très largement répandu dans les milieux ouvriers.

« Roubaix. - In d'mes abonnés et compagnons d'jeunesse fait un marché d'étoffes, mardi parssé, de cinq mètres rin d'pus beau et d'un beau rouge, étant d'sus l'route pou aller paihie sin brasseu, v'là-ti po qui l'oblie sin copon din cabaret, inter l'Basse-Masure et l'cabaret du Ver-Solitaire, chez ênne nommée Zoé : Deux minutes ont suffi à cheulle cabaréti're, pour printe un échantillon de deux mêtes ; y va acore sur chinq, in n' d'a po pris la montie, ché acore ènne brave fème.

V'là pu drôle, et l'chiendent, ché que l'fème qui l's a vindus, a été l'trouvé, et final'mint elle a avoué qu'ch'éto ènne farce, et elle a rindu l'marchandise.

Allons, Zoé, qu'on in dépose un copon, N'in copez pus près d'la miton. » 

- Extrait du journal La Brouette tourquenoise, 27 juillet 1884.

Le cabaret ou estaminet est le lieu de vie collective populaire par excellence : on y chante, danse, organise des concours, des jeux ou des fêtes de quartiers.

Conclusion

Fruit d’un essor urbain et industriel extraordinaire, Roubaix est emblématique de dynamiques économiques et sociales profondes des XIX e et XX e siècles européens. Ville du travail textile, Roubaix a été façonnée en profondeur par l’implantation des usines. La composition de sa population, majoritairement ouvrière, a largement été influencée par les vagues successives d’immigration, laquelle a perduré y compris après le déclin de l’industrie textile.

Pour aller plus loin :
Yves-Marie HILAIRE, Histoire de Roubaix, Dunkerque, Éditions des beffrois, 1984
Chantal PETILLON, La population de Roubaix. Industrialisation, démographie et société, 1750-1880, Lille, Presses du Septentrion, 2006

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Sihem Bella est professeure d’histoire-géographie (Académie de Lille) et travaille sur Alger au XIXe siècle dans le cadre d'une thèse en histoire contemporaine (IRHiS, Université de Lille). Elle est membre de l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie).

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