La fondation de la Presse en 1836
Emile de Girardin lance le 1er juillet 1836 La Presse, le premier quotidien à bon marché. Il est considéré comme le fondateur de la presse moderne : un journal d’information et de divertissement, financé par la publicité. Ce journal doit son succès à un prix de vente bon marché et aux romans feuilletons qui lui permettent d’élargir son lectorat. Malgré les critiques, ses innovations sont largement imitées par ses concurrents et font entrer la presse dans « l’ère médiatique ».
La Presse : une révolution dans le journalisme
Le 1er juillet 1836, paraît le premier numéro d’un nouveau journal politique, La Presse, que son fondateur Emile de Girardin présente comme révolutionnaire et destiné à un lectorat plus large que la presse traditionnelle. Il s’agit du premier journal à bas prix : son abonnement est fixé à 40 francs contre 80 francs pour les quotidiens traditionnels.
A travers La Presse, il fait la promotion d’un journal d’information et de divertissement et non d’un journal d’opinion au lectorat élitiste et restreint. Les premiers numéros de la Presse constituent une sorte de profession de foi de Girardin qui dessine le portrait-robot de son journal et du journalisme moderne. « La presse à grand nombre et à bon marché (...) forme le jugement de lecteurs nouveaux, (...) étend le bon sens public, (...) active la circulation des idées, (...) efface toutes démarcations étroites de partis ».
Pour Girardin, la presse est destinée à instruire le plus grand nombre et à former le jugement des lecteurs, qui sont aussi des électeurs, avec l’abaissement du cens sous la Monarchie de Juillet et non à être la tribune d’hommes politiques ou de partis. Il défend donc la neutralité de son journal et une forme de déontologie journalistique en distinguant ce qu’il appelle la « polémique » (les partis pris idéologiques) et la « publicité » des faits (l’information). Il annonce ne pas vouloir reproduire les discours parlementaires leur préférant les « débats de presse ».
Les clés de la réussite de la Presse
Girardin est un entrepreneur : il applique au journalisme les règles du capitalisme en s’inspirant de la presse britannique. « Le prix de l’abonnement des journaux quotidiens n’est pas en juste rapport avec la modicité du revenu moyen de la grande majorité des électeurs français » affirme-t-il dans La Presse du 1er juillet 1836. Perspicace, il sait que c’est seulement en abaissant le prix de l’abonnement du journal qu’il pourra élargir sa clientèle aux classes moyennes et à la petite bourgeoisie.
La réussite de La Presse repose sur son modèle économique. Girardin introduit la publicité pour rentabiliser son affaire « C’est aux annonces de payer le journal » aurait déclaré Girardin . Il remet en question le mode de gestion des grands quotidiens dans lequel les abonnés devaient couvrir les dépenses de leur journal qui le soumet au « despotisme étroit des abonnés ». Les premières annonces dans la presse remontent toutefois à 1827. Cette pratique se généralise et la presse parisienne se lance dans une bataille des prix des annonces en 1837.
Pour attirer des annonceurs et leur réclamer des tarifs plus élevés, Emile de Girardin doit augmenter son tirage. Il cherche à élargir son lectorat et à le fidéliser en publiant des romans feuilletons, écrits par de grands écrivains, qui acceptent de découper leur roman en morceaux, format inédit destiné à tenir en haleine le lecteur : les premiers sont signés Alexandre Dumas (La comtesse de Salisbury) et Balzac (La Vieille Fille de Balzac du 23 octobre au 4 novembre 1836). Il crée le genre de la chronique mondaine et satirique, « Le Courrier de Paris », chaque jeudi qui est assurée par son épouse écrivaine, Delphine de Girardin, sous le pseudonyme masculin du vicomte de Launay.
Emile de Girardin (1802-1881)
Il est l’inventeur de la presse moderne, financé par la publicité. Il fonde plusieurs journaux (Le Voleur, La Mode, Le Journal des connaissances utiles) avant de connaître la consécration avec La Presse en 1836, et en rachetant Le Petit Journal en 1872. Il mène également une longue carrière politique de député depuis 1834. Opposé au conservateur Guizot sous la Monarchie de Juillet, il soutient l’accession de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la IIe République mais combat la restauration impériale. Il défend la liberté de presse contre toute forme de censure. Rallié à la IIIe République, Il a un rôle clé dans l’élaboration de la loi sur liberté de la presse de 1881.
Girardin, l’inventeur de la presse moderne, contesté mais imité
Avec La Presse, Girardin bouleverse le petit monde du journalisme qu’il fait entrer « dans l’ère médiatique » d’autant qu’Armand Dutacq crée un autre journal, Le Siècle, fondé sur le même concept (1er juillet 1836). Elle devient très rapidement le troisième journal en termes de tirage derrière Le Journal des débats et Le Siècle en 1836. Les débuts restent toutefois mitigés : le journal atteint les 13 630 tirages en 1837 et 12 000 en 1841 alors que Le Siècle atteint les 37 500 à cette même date. Malgré ses intentions, La Presse est vue comme de plus en plus proche du pouvoir et conservateur.
Pourtant, les principaux quotidiens traditionnels, concurrencés par la stratégie commerciale agressive de Girardin, doivent eux aussi baisser le prix des abonnements et recruter des feuilletonistes à grand frais. Le Constitutionnel racheté par Veron, qui a perdu les 2/3 de ses abonnés entre 1836 et 1844, paie plus de 100 000 francs Le Juif Errant d’Eugène Sue ce qui lui permet de gagner plus de 20 000 abonnements. Toutefois elle suscite de nombreuses controverses, résumées par Sainte-Beuve dans la Revue des deux mondes (1er septembre 1839). En introduisant la publicité, il a fait du journalisme une entreprise commerciale et l’a rendu dépendante des annonceurs qui peuvent influencer sa ligne éditoriale. En outre, en tant que critique littéraire, il accuse Girardin d’avoir donner naissance au roman-feuilleton, qu’il qualifie de « littérature industrielle ».
L’affrontement entre Armand Carrel et Emile de Girardin symbolise l’opposition entre la « vieille presse » (d’opinion) et « la nouvelle presse » à bon marché. Tout commence par une polémique lancée par le journaliste Capo de Feuillade du Bon sens qui voit dans la réduction du prix de l’abonnement une opération purement spéculative. Girardin l'attaque en diffamation. Armand Carrel, célèbre journaliste républicain, apporte son soutien au Bon Sens le 20 juillet 1836 dans le National en accusant Girardin de concurrence déloyale. Leur querelle s’envenime et s’achève par un duel au bois de Vincennes le 22 juillet. Girardin concentre des attaques virulentes du Charivari, du Corsaire et du Bon Sens alors que le monde politique et intellectuel est unanime à regretter la mort de Carrel.
Armand Carrel (1800-1836)
Jeune officier issu de Saint-Cyr, il démissionna de l’armée en 1823 pour s’engager aux côtés des libéraux espagnols contre l’expédition française. Il devient secrétaire de l’historien Augustin Thierry et multiple les articles dans Le Constitutionnel et Le Globe. Membre de l’opposition libérale la plus active sous la Restauration, il fonde Le National avec Thiers, journal qui contribua à la chute de Charles X. De plus en plus critique contre la Monarchie de Juillet, il rejoint le camp républicain en 1832. Incarnant la presse d'opinion, sa querelle avec Girardin s'achève dans un duel au Bois de Vincennes à la suite duquel il trouve la mort le 24 juillet 1836.