Écho de presse

1888 : la droite, via la « Ligue de la consultation nationale », appelle à renverser la République

le 10/02/2019 par Marina Bellot
le 16/01/2019 par Marina Bellot - modifié le 10/02/2019
Georges Boulanger à la tribune de la Chambre, illustration tirée d'un détail de la couverture des « Nouvelles chansons boulangistes », Villemer, 1888 - source : WikiCommons
Georges Boulanger à la tribune de la Chambre, illustration tirée d'un détail de la couverture des « Nouvelles chansons boulangistes », Villemer, 1888 - source : WikiCommons

En 1888, dans une République marquée par l’instabilité parlementaire, la droite conservatrice fonde la Ligue de la consultation nationale, avec deux mots d’ordre : dissolution du Parlement et révision de la Constitution.

Dès la fin des années 1880, la Troisième République vacille, marquée par une forte instabilité parlementaire consécutive d'un échec des gouvernements successifs à convaincre l'opinion.

Jouant sur les passions antiparlementaires de la France d'alors, le phénomène « boulangiste » – du nom de Georges Boulanger, ancien ministre de la Guerre de Clemenceau – prend de l’ampleur, tandis que les anti-républicains (alors nombreux et influents) réclament le renversement pur et simple de la Troisième République.

Pour remédier à ce qu’ils nomment « l’anarchie parlementaire », les conservateurs tentent de s’unir et créent la « Ligue de la consultation nationale », qui rassemble royalistes, bonapartistes et boulangistes :

« Article 1er. – Une association est formée entre les comités, groupes ou personnes qui adhéreront aux présents statuts. L'association prend le nom de Ligue de consultation nationale.

Art. 2. – Le siège de l'association est à Paris.

Art. 3. – La Ligue de consultation nationale a pour but d'éclairer le pays en organisant la propagande par des publications, des conférences, des réunions publiques ou privées, en un mot, par tous les moyens légaux. »

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Pendant plusieurs semaines, cette Ligue de la consultation nationale mène une campagne de presse tambour battant et fait entendre sa voix dans tous les journaux conservateurs.

Son but ? « Rendre la parole à la France » rapporte complaisamment le quotidien de droite catholique L’Espérance :

« Les députés de la droite, sans distinction de nuance politique, ont fondé une Ligue de consultation nationale qui a pour but de rendre la parole à la France.

Cette Chambre incapable ne saurait plus longtemps gouverner la patrie. Nos députés se sont en effet disputés, chamaillés, renversés entre eux sans se préoccuper autrement des intérêts majeurs dont ils étaient chargés. [...]

Ont-ils fait sage ? Ont-ils fait grand ? Ont-ils fait utile ? Partout et toujours le néant.

Cette Chambre impuissante et déconsidérée se réveille pourtant de sa torpeur lorsqu’il s’agit de commettre une action malhonnête ou de soutenir une mauvaise cause. 

Le vieux sang de jacobins en délire réagit au seul souvenir des tueries immondes. »

Fustigeant « l'ineptie » de la classe politique au pouvoir, la Ligue de la consultation nationale se fait forte de vouloir rassembler « les modérés de tous les partis », avec un objectif clairement affiché : la dissolution de la Chambre, alliée présumée du « socialisme haineux » et de la « Commune hideuse », de même que la révision de la Constitution, préalables nécessaires à un plébiscite national :

« Que voulons-nous ? Une consultation nationale. L’ordre dans la légalité.

Venez à nous, modérés de tous les partis, sinon par conviction du moins par devoir et essayons ensemble d’enrayer la marche en avant de la révolution et de fonder à nouveau un gouvernement sage, honnête, libéral.

Notre programme est large, fécond, patriotique. Ni coup d’État, ni anarchie. La justice. Qui aime la France nous suive.

La Chambre inepte a trahi ses devoirs. Elle doit disparaître. Elle est la force, nous sommes le droit. Le peuple souverain a le devoir de briser le contrat léonin qui le lie à cette majorité d’imbéciles. Nos députés avaient un mandat parfaitement défini, ils n’ont su ni voulu le remplir.

À la porte et vite. »

Fin 1888, des « banquets conservateurs » ont lieu dans toute la France, pour combattre et abattre l’ennemi commun : la Troisième République. Partout, il s'agit d'exhorter les Français à se débarrasser de leurs représentants, comme à Montauban, en août 1888, où le ton est véhément

« Persécutions et gaspillages au-dedans, incapacité au dehors ; telle est la situation que nous créent ceux qui tiennent le pouvoir ! Étonnez-vous qu'après cela un cri fait de haines, de dégoûts, de douleurs, s'échappe de toutes les bouches : Assez, assez de ces gens-là ! »

Quel régime pour lui succéder ? Si la Ligue en appelle au plébiscite – c’est-à-dire à la consultation directe de la nation –, royalistes, bonapartistes et boulangistes n’ont, de fait, pas le même objectif final.

Des divisions que la presse de gauche et de centre-gauche ne manque pas de relever, à l’instar du quotidien socialiste Le Radical qui raille la discorde régnant dans le camp conservateur :

« La responsabilité de cette scission revient, paraît-il, à la fameuse Ligue de consultation nationale, fondée par un groupe panaché de légitimistes et de bonapartistes.

Cette Ligue qui a pour but de poursuivre la révision et la consultation directe de la nation a choisi pour candidat dans la Dordogne M. le général du Barail. Les purs du parti impérialiste qui repoussent toute compromission avec les légitimistes, ont alors imaginé la candidature Thirion-Montauban.

Nous ne voyons pas la différence qui peut exister entre les deux candidats. Il nous suffit de constater le trouble jeté dans le parti conservateur par ces deux candidatures.

La Ligue de la consultation nationale n'obtient pas plus de succès, d'ailleurs, auprès des orléanistes. La correspondance nationale, organe du comte de Paris, fait ses réserves sur le programme Doudeauville-Cassagnac. La confiance est telle, dans le clan conservateur, que chacun s'attend à être dupé. »

Les conservateurs, eux, affichent une unité de façade, comme s’en fait l’écho le journal bonapartiste Le Petit Caporal, qui assure la mission que s’est donnée la Ligue de la consultation nationale n’implique « aucune concurrence de parti » :

« Les journaux républicains la voient de mauvais œil, ce qui n’est point pour nous déplaire, et déclarent avec ensemble que le titre qu’elle a choisi ne leur agrée pas. Ce mot de consultation nationale ne leur dit rien qui vaille.

C’est une équivoque ! assurent-ils ; comment pouvez-vous vous liguer pour une œuvre commune, puisque vous êtes divisés sur la solution ? Et qu’est-ce qu’une promesse de consultation nationale dont vous n’avez pas préalablement défini le mode ?

Ils n’ont pas réfléchi que la consultation est le dernier terme de notre programme, et qu’avant d’en venir là, il y a une besogne que nous pouvons accomplir ensemble : c’est l’éviction du parti républicain. Il nous suffit présentement d’être d’accord sur les préliminaires de l’entreprise : il doit suffire au pays de savoir que les deux partis ligués pour sa délivrance ne méditent aucune usurpation contre ses droits souverains, et qu’il n’interviendra jamais une solution gouvernementale qui n’émane de lui. »

Mais très vite, en dépit de cette apparente volonté d’unité, les dissensions minent la Ligue.

Ainsi, à Tarbes, le marquis de Breteuil, député des Hautes-Pyrénées, plaide ouvertement pour le rétablissement de la monarchie, comme le rapporte Le Gaulois :

« Pour moi, messieurs, je vous dirai, alors comme je vous l'ai toujours dit, que la meilleure, que la seule solution est la Monarchie nationale, représentée par un Prince honnête, loyal, au cœur noble et français, par Monseigneur le comte de Paris, qui personnifie aux yeux de la France les gloires accumulées pendant dix siècles et les libertés conquises depuis cent ans.

Il est de son temps, messieurs, le chef de la Maison de France ; il a embrassé avec autant d'ardeur que nous, toutes les idées modernes ; il comprend toutes les aspirations de la démocratie ; il a appris par les leçons de l'histoire que les rois sont grands quand leurs peuples sont heureux ; et le petit-fils d'Henri IV n'a pas oublié l'exemple du Béarnais. [Très bien ! Très bien ! Applaudissements.] »

Fait révélateur de ces dissensions, la réunion publique organisée en novembre 1888 à Paris tourne au fiasco, comme le raconte non sans délectation le journal républicain La Lanterne

« La Ligue de consultation nationale, composée de réactionnaires militants au service du boulangisme, avait voulu tâter les électeurs du cinquième arrondissement. Rendez-vous avait été pris pour hier soir, rue de Jussieu 29, salle de l’Hermitage.

De bonne heure, la foule se pressait devant les portes. On entrait moyennant finance, car ces messieurs ne perdent jamais de vue les intérêts de la caisse. [...]

Mais voici qu'à peine le secrétaire [de la ligue], M. Auffray, a-t-il commencé à développer les motifs qui ont motivé la réunion, que les protestations s'élèvent de tous côtés.

Le vacarme est effroyable, de tous côtés percent les cris de : “Vive Boulanger !” “Vive la Commune!” “Vive le roi !” “Vive l'empereur !” “Vive la République !” auxquels se joignent les acclamations contraires de : “À bas !” [...]

Une bagarre sanglante s'ensuit, dans laquelle on échange force coups de canne, chaises et coups de poing.

La réunion est ainsi interrompue et la salle s'évacue dans un désordre incroyable, après que le matériel en a été brisé, et le gaz éteint. »

En janvier 1889, Boulanger remporte l'élection partielle à Paris. Certains de ses soutiens le pressent alors de marcher sur l’Élysée tout proche, mais Boulanger refuse, comptant sur les élections législatives d’octobre 1889 pour asseoir définitivement sa légitimité.

De plus en plus craint à droite comme à gauche, il perdra un à un ses nombreux soutiens et finira par s'enfuir en Belgique, effrayé par des rumeurs d'une arrestation prochaine.

Durant la décennie suivante, les monarchistes se rallieront en grand nombre à la République, s'alliant avec les républicains les plus conservateurs.

La Troisième République ne prendra fin que plusieurs décennies plus tard, en 1940, lorsque le maréchal Pétain s'autoproclamera chef de l'État français.

Pour en savoir plus :

Kevin Passmore, The Right in France from the Third Republic to Vichy, OUP Oxford, 2012

Philippe Levillain, Boulanger : fossoyeur de la monarchie, Flammarion, 1982

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