Dernière étape de l’aventure, quelques critiques vont recenser l’ouvrage tiré de cette expérience, à commencer par la version anglaise (The Spanish Testament) publiée aux éditions du socialiste et humanitaire Victor Gollancz à la fin de l’année 1937 à Londres. L’ouvrage, rédigé en deux mois à partir des notes du journal de prison de Koestler, est rapidement choisi comme « le livre du mois » par le Left Book Club (Gollancz en est membre fondateur).
Pour L’Œuvre (2 janvier 1938), qui rappelle aussi que The New Statesman and Nation (un périodique de gauche) considère le livre comme « une œuvre classique qui enrichit la littérature ».
« Koestler ne cherche ni ‘l’effet’ sensationnel, ni ‘l’effet’ de propagande, mais la vérité humaine. […]
Cette vérité est une terrible accusation pour ceux qui ont mis l’Espagne à feu et à sang. »
Entre septembre 1937 et l’automne 1938, le reporter, quant à lui, est reparti. Il a interviewé Thomas Mann en Suisse pour The News Chronicle en 1937, puis s'est rendu ensuite à Belgrade où se trouvait son père. Il a aussi enquêté en Grèce sur le régime de Metaxas (Regards, 10 février 1938), avant de s’embarquer pour la Palestine.
La version française du Testament espagnol paraît au printemps 1939, alors qu’il est revenu en France. La République espagnole s’est alors effondrée et Franco triomphe. Le livre est publié non pas aux Éditions sociales internationales, mais chez Albin Michel. En effet, à ce moment-là, l'écrivain et journaliste s’est éloigné du communisme, d’abord à cause de l’Espagne, mais aussi du fait des Procès de Moscou (avril 1938). En 1938, refusant de s’associer aux critiques contre le POUM, il a ainsi quitté le KPD en exil.
En avril-mai 1939, des encarts publicitaires pour la traduction française du livre sont donc diffusés tout autant dans la presse de gauche que dans le Journal des débats politiques et parlementaires ou même dans Gringoire, pourtant passé à l’extrême droite à cette date. Ils rassemblent en fait trois ouvrages « poignants et reflets de notre temps » : Vers l’exil de Margaret Sothern, sur les horreurs du racisme en Bavière, Le Sel de la terre de Josef Wittlin, l’épopée d’un soldat en Ruthénie et donc Un Testament espagnol, « un extraordinaire document, écrit en prison, dans l’attente immédiate de la mort ».
Plus qu’une dénonciation d’un antifasciste prêt à tout sacrifier pour lutter pour son idéal, le livre est cependant d’abord la réflexion d’un homme menacé par une condamnation à mort.
On parle du livre dans l’hebdomadaire d’action civique et républicaine fondé par Georges Boris La Lumière (12 mai 1939, « Le plus hallucinant des témoignages : fusillé, gracié ; fusillé, gracié… ») ou dans La République (17 mai 1939), sous la plume de Pierre Paraf. On trouve aussi quelques articles dans des quotidiens nationaux comme L’Excelsior. Pierre Lagarde compare ainsi ce que Sartre s’est plu à imaginer dans Le Mur, avec ce que Koestler a vécu (13 mai 1939).
Mais on va finalement assez peu parler du livre à cette époque. Il n'y a rien du côté des socialistes du Populaire, mais aussi et surtout rien chez les communistes (L’Humanité, Regards, Ce soir). Sa rupture au printemps 1938 a rendu inévitable ce silence complet. Il faudra attendre 1946-1947 et le succès polémique de la publication du Zéro et l’infini, pour que le récit espagnol de Koestler refasse à nouveau surface.
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Pour en savoir plus :
Arthur Koestler, Un Testament espagnol, 1937 (The Spanish Testament), 1939, Albin Michel
Arthur Koestler, Œuvres autobiographiques : La Corde raide, Hiéroglyphes, Dialogue avec la mort, La Lie de la terre, l’Étranger du square, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1994
Anne Mathieu, Nous n’oublierons pas les poings levés. Reporters, éditorialistes et commentateurs antifascistes pendant la guerre d’Espagne, Paris, éditions Syllepse, janvier 2021, 696 p.
Aden, « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939) », 1er volume, 2006
Aden, « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole (1936-1939) », 2e volume, 2010
Martin Marc, « Le grand reportage et l'information internationale dans la presse française (fin du XIXe siècle-1939) », in : Le Temps des médias, 2013/1 (n° 20), p. 139-151
Lydia Ben Ytzhak, « Arthur Koestler, ou la quête de l’absolu (1905-1983) », Une vie, une œuvre, France Culture
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Rachel Mazuy est historienne, chargée de conférences à Sciences Po et chercheure associée à l’Institut d’histoire du temps présent. Elle travaille notamment sur l’histoire du mouvement ouvrier et celle de la Russie soviétique.