Écho de presse

Les colonies de vacances des « enfants du peuple »

le 16/08/2022 par Michèle Pedinielli
le 27/08/2020 par Michèle Pedinielli - modifié le 16/08/2022
Petits garçons de Bagnolet prenant leur déjeuner sur l'île d'Oléron, 1932 - source : CinéArchives
Petits garçons de Bagnolet prenant leur déjeuner sur l'île d'Oléron, 1932 - source : CinéArchives

Dans les années 1920, de nombreuses municipalités décident d’envoyer les enfants des quartiers populaires « au grand air ». Ces colonies de vacances particulières, souvent politisées, permettent aux fils et filles d’ouvriers de respirer la liberté.

Dans l’après-Première Guerre mondiale, les municipalités de la banlieue parisienne se préoccupent de plus en plus de l’hygiène et du bien-être des plus petits de leurs habitants. Les enfants qui vivent dans des logements précaires sont, dit-on alors, « souffreteux ». La mortalité infantile frappe en effet de pein fouet les taudis et de plus en plus de voix s’élèvent pour qu’ils puissent profiter des « bienfaits du grand air vivifiant », notamment lors des vacances scolaires.

« Est-il humain, est-il juste que des milliers de petits qui s’étiolent dans l’atmosphère empoisonnée des taudis n'aient point, chaque année, le réconfort de quelques jours de campagne ?

C’est là une grave question, que se posent avec inquiétude les hygiénistes vigilants.

Elle est liée à celle des espaces libres dans les agglomérations citadines ; elle l’est à la lutte contre la population. »

Se pose alors rapidement la question de la participation de l’État ; en effet, toutes les villes n’ont pas les fonds nécessaires pour envoyer les enfants en bord de mer ou à la montagne. Les moyens à disposition sont sans commune mesure entre, par exemple, Paris et les petites villes de  proche banlieue.

« Des colonies de vacances sont organisées dans plusieurs de nos grandes villes ; on cite l’exemple de Lyon, on signale la sollicitude de la ville de Paris. Mais comment donner à une population scolaire innombrable les bienfaits du grand air vivifiant, de la mer ou de la montagne, avec les faibles ressources des caisses des écoles, mêmes grossies de faibles subventions ? […]

Quelques milliers de francs où il faudrait des millions.

Sans doute, le dévouement collectif des instituteurs a fait merveille, et nous lui devons notamment la belle œuvre des « Enfants à la montagne ». Sans doute, il existe des initiatives privées infiniment louables, mais il n’est pas permis de dire que le quart des enfants de la classe peu aisée – des enfants du peuple – puisse passer chaque année seulement trois semaines hors de Paris. […]

Tant que les colonies de vacances ne seront pas un service d’Etat, nous aurons le droit de dénoncer l’incurie des pouvoirs publics. »

Cependant, en ce mois d’août 1928, les gares parisiennes résonnent des cris des enfants qui partent en groupe (et souvent, pour la première fois) loin de la ville, dans ce que l’on appelle des colonies de vacances, synonymes de santé et de liberté.

« Par ces chaudes journées estivales, si vous passez auprès d'une gare, vous serez peut-être surpris d'y rencontrer des bandes joyeuses de jeunes enfants, qui, avec une impatience fébrile, attendent l'heure du départ.

Chaque jour, des colonies de vacances quittent la capitale pour emmener les enfants au grand air, là-bas vers les montagnes ou vers la mer.

Sur les visages de tous ces jeunes voyageurs, on lit la joie de partir vers ces régions inconnues. Et si dans un dernier au revoir aux parents qui viennent les accompagner, une larme jaillit parfois, elle est bien vite effacée par un sourire de bonheur.

Avant-hier, 550 enfants de la colonie de vacances de Boulogne-Billancourt, sont partis les uns pour la Nièvre, les autres pour Ver-sur-Mer (Calvados).

Ce matin, partira également un groupe de jeunes enfants de Villeneuve-Saint-Georges, pour aller à Quend-Plage, passer quelques semaines au bord de la mer.

On ne saurait trop féliciter nos amis socialistes, organisateurs de ces colonies scolaires, dont l'utilité n'est plus à souligner et il faut souhaiter voir bientôt se généraliser dans toute la France, ces départs des petits écoliers, qui, loin des bruits et des microbes des villes, vont chercher dans des espaces libres le soleil et la santé. »

Si Le Populaire salue en 1928 l’initiative des « amis socialistes », l’histoire retiendra que ce sont plutôt les villes communistes, notamment celles de la « banlieue rouge » ceinturant Paris, qui feront de la colonie de vacances une étape essentielle – et nécessairement, politisée – dans l’éducation et l’émancipation des enfants des classes dites « laborieuses ».

Le quotidien communiste L’Humanité salue par exemple les initiatives de la municipalité d’Ivry, qui investit au-delà d’un simple centre de vacances.

« Le chapitre de l'assistance sociale est d'ailleurs un de ceux où la municipalité communiste a innové avec le plus de succès. 

Le maire, Marrane, créa, en 1926, les Vacances populaires enfantines, administrées par des représentants de l'A.R.A.C, du S.R.I. et de la C .G. T. U. Il envoyait, dès cette année-là, 145 enfants sur la plage de Saint-Vaàst-la-Hougue et 202 à l'île d'Oléron. 

Mais, en 1928 afin d'éviter aux enfants le régime défectueux de la pension, la ville d'Ivry acquit, en Charente-Inférieure à proximité de Royan, un domaine forestier où pourront bientôt aller 500 enfants !

De même, les communistes d'Ivry ont étendu l'assistance médicale gratuite et créé, dès 1926, un dispensaire municipal. On y trouve un service de radiographie et un service de rayons ultra-violets, extrêmement précieux pour les enfants débiles. »

Autre ville ouvrière à envoyer ses enfants au soleil : Bagnolet, qui achète un vaste domaine sur l’île d’Oléron, la « Vignerie », à l’entrée duquel flotte désormais le drapeau rouge orné de la faucille et du marteau.

Sans surprise, le journaliste de L’Humanité s’enthousiasme sur ce centre de vacances où les enfants, dit-il, « ont belle allure ».

« Franchissons la grille qui s'ouvre sur une grande cour bordée de bâtiments blancs dans lesquels ont été percées de larges baies. Voici ici un grand réfectoire. Plus loin une pancarte indique l'infirmerie. En face, un long bâtiment – le préau de récréation en cas de mauvais temps, apprendrai-je tout à l'heure. 

Face à l'ouest, un bâtiment de fond relie les deux ailes. Au rez-de-chaussée et au premier, des lits, rien que des lits rangés, qu'éclairent de larges fenêtres : chambres Lénine, Staline, Louise Michel, André Marty, Marcel Cachin... 

Si nous franchissons le préau, nous arrivons dans un parc aux nombreux arbres de différentes essences, et donnant un ombrage qui n'est certes pas à dédaigner. Des jeux, balançoires et autres y sont installés. »

L’île d’Oléron attire une autre municipalité communiste. Cette fois-ci, c’est Bobigny qui décide d’aménager son centre de vacances à Maison-Neuve, pas loin de la Vignerie. 

« Ainsi dans deux endroits de la campagne oléronaise flotteront bientôt les drapeaux rouges du seul parti des travailleurs, des ouvriers et des paysans », se réjouit le directeur du centre de vacances de Bagnolet. Ce qui ne va pas sans inquiéter les habitants de l’île, comme le fait remarquer la célèbre revue communiste Regards.

« Lorsqu’en 1932, les enfants de Bagnolet, première municipalité ouvrière qui fonda une colonie dans l'île firent leur apparition au pays où “fleurit le laurier rose”, la population leur fut franchement hostile.

Les petits colons arboraient le béret rouge : pendant leurs promenades, ils chantaient des airs séditieux : l'internationale, la Jeune Garde ; on prétendait même que c'était des communistes. Sur leur passage, portes et fenêtres se fermaient d’elles-mêmes.

Devant un tel scandale le maire de Saint-Georges-D’Oléron interdit non seulement les chants, mais encore les sorties en groupes. »

Cependant l’attitude polie des petits « communistes » rassurera rapidement le voisinage. « Aujourd'hui, lorsque l’Internationale retentit à l'entrée d'un village, les fenêtres s'ouvrent et les grand'mères qui portent encore la “kischnote”, se montrent au seuil de leur maison », apprendra-t-on. 

La colonie de vacances de Bagnolet s’installera durablement dans le paysage de l’île d’Oléron. Comme la majorité des structures acquises par les municipalités communistes dans les années 1920 et 30, modernisée, elle poursuit toujours ses activités un siècle plus tard, en 2020.

Pour en savoir plus : 

E. Bellanger, « Les colonies municipales de banlieue : entre héritage paternaliste, empreinte communiste et diffusion d’un modèle (1880-1960) », in : Les Châteaux du social. XIXe-XXe siècle, Presses Universitaires de Vincennes, 2010

Vidéo d’une colonie de vacances d’enfants de Bagnolet sur l’île d’Oléron, via Ciné Archives