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Depuis ses premiers poèmes en 1913 jusqu’à son dernier recueil à la veille de sa mort, Paul Eluard n’a cessé d’écrire l’amour. Un amour fou pour ses compagnes Gala et Nusch, pour la liberté, pour le genre humain.
« Je souffre trop pour parler. Il avait fait fleurir la France. Je pleure. »
Les trois phrases de du poète chilien Pablo Neruda résument la douleur ressentie par les écrivains du monde entier à l’annonce de la mort de Paul Eluard, le 18 novembre 1952. Alors que Cocteau affirme « Une seule chose me console. Les poètes ne font que semblant de mourir », la France salue l’un de ses plus grands poètes d’amour et de résistance.
D’abord membre du dadaïsme puis du surréalise avec André Breton avant de se brouiller avec lui et suivre Louis Aragon au parti communiste français (PCF), Paul Eluard entre en clandestinité dès sa démobilisation en 1940. Et signe en 1942 l’un des plus célèbres poèmes de résistance : « Liberté ».
« Paul Eluard vient de mourir. Il était parti du surréalisme, il avait prêché la révolte et chanté l'amour.
Mais l'heure du danger venue, pendant l’occupation, il fut aussi et surtout le poète de la Résistance. Son poème Liberté est aujourd'hui dans toutes les mémoires, il est enseigné dans les lycées, dans les écoles communales.
Eluard le tendre, l'élégiaque, avait su se montrer le plus violent et le plus juste dans la violence, quand elle avait été nécessaire. »
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« Eluard le tendre » a d’abord été le poète amoureux. Mobilisé en 1914 à l’âge de dix-neuf ans, ce pacifiste qui lit Le Canard enchaîné et Le Bonnet rouge tombe amoureux d’une jeune Russe en exil, qu’il surnomme Gala. En 1917, tout juste majeur, il profite d’une permission pour l’épouser. Pour elle, il écrit « La courbe de tes yeux » :
« La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. »
Lorsque Gala le quitte pour Salvador Dali en 1928, la douleur est transcendée en poème (« Ta chevelure glisse dans l'abîme qui justifie notre éloignement ») et en action politique. Aux côtés d’André Breton, il prépare en 1931 une exposition anti-impérialiste pour répondre à l’exposition coloniale de Vincennes.
En 1930, il rencontre Nusch, qui devient vite une égérie du groupe surréaliste et pour qui il compose cinquante-quatre poèmes l’année de leur rencontre avant de l’épouser en 1934.
C’est avec elle qu’il affrontera les années de guerre sans jamais cesser d’écrire, sous différents pseudonymes. Le poète amoureux est un poète résistant.
« Depuis la publication de Poésie et vérité 42, que l’Institut allemand dénonçait comme un tract dangereux, il changeait chaque mois de domicile en n’emportant avec lui que des papiers froissés sur lesquels il transcrivait les brouillons de ses poèmes. […]
C'est Eluard qui devait entreprendre, aidé par Jean Lescure, la publication de L’Honneur des poètes et de Europe, recueils collectifs de poèmes auxquels collaborèrent la plupart des jeunes poètes d’aujourd’hui.
On juge des difficultés que représente une telle œuvre. Il s’agissait de recueillir les textes, d’atteindre des détenus dans leur cellule, des prisonniers, des étrangers ; de tromper la surveillance de la Gestapo et de travailler quotidiennement avec les imprimeurs, les typos, les porteurs, tous ceux dont on ne parle pas mais et à qui la littérature clandestine doit pourtant une telle reconnaissance. »
En 1942, il demande à réintégrer le PCF (devenu illégal) dont il s’était éloigné en 1935. En pleine clandestinité il contacte Pierre de Lescure et Vercors, pour rejoindre les Éditions de Minuit. Il participe au recueil L’Honneur des poètes sous le nom de Maurice Hervent. Plus tard c’est Jean Du Haut qui signe Les Sept poèmes d’amour en guerre. Et c’est Nusch qui les transporte clandestinement, dissimulés dans des boîtes à bonbons.
En avril 1942, Eluard écrit « Une seule pensée » dont il changera lui-même le titre au dernier moment pour « Liberté ». Diffusé en France puis à Londres, le poème est parachuté à des milliers d’exemplaires par la Royal Air Force lors d’un passage au-dessus du territoire français.
À la Libération, il est considéré à l’égal d’Aragon comme le grand poète de la Résistance. Il devient également l’un des artistes porte-parole du PCF et signe plusieurs interventions dans L’Humanité, à nouveau publié.
« Nous vivons un temps blanc et noir où, lorsque l'horreur s’écarte un peu, des promesses inouïes partout se font jour, éclairant l'avenir.
Contre les misères que notre pays a subies, les meilleurs d’entre les hommes ont combattu. Joliot-Curie, Langevin, Francis Jourdain, Picasso ont toute leur vie été au service de l'homme. Ils se rangent résolument aux côtés des travailleurs et des paysans.
J'ai vu aujourd'hui Pablo Picasso et Marcel Cachin s'embrasser. Et j'ai vérifié la noblesse de l’intelligence et du cœur en entendant Picasso remercier le peuple de France en adhérant à son plus grand Parti : celui des Fusillés. »
Les années qui suivent sont foisonnantes pour la poésie d’Eluard, même quand la mort de Nusch le plonge dans un profond désespoir.
« Vingt huit novembre mil neuf cent quarante-six
Nous ne vieillirons pas ensemble.
Voici le jour
En trop : le temps déborde.
Mon amour si léger prend le poids d'un supplice.(“Le temps déborde”) »
Il continue de militer avec Louis Aragon dans les rangs du PCF, devenant même délégué au Conseil mondial de la Paix en 1949. Cette adhésion donnera quelques embarrassantes élégies dithyrambiques à propos des dirigeants communistes français (ainsi un hommage à Maurice Thorez lors du 12e congrès du PCF ou le poème « À Jacques Duclos »).
Elle lui fera également fermer les yeux sur les crimes de Staline, notamment en refusant l’appel d’André Breton pour sauver l’écrivain tchèque Zavis Kalandra, ce que rappelle le journal anarchiste Le Libertaire au lendemain de sa mort, rare note discordante dans un concert de louanges.
En novembre1952, quelques jours avant sa mort, Paul Eluard est toujours au côté du parti communiste pour exiger la grâce des époux Rosenberg, un couple new-yorkais communiste soupçonné d’espionnage et condamné à mort aux États-Unis en plein maccarthysme.
« Il faut sauver la vie de Julius et Ethel Rosenberg.
La justice et la paix l’exigent. Je ne peux pas croire que tous nous n’obtenions pas leur grâce. »
Le 18 novembre, il est terrassé par une crise cardiaque aux côtés de Dominique, sa femme. Il venait de terminer Poésie ininterrompue II, qui sera publié l’année suivante, illustré d’un portrait du poète par Picasso.
Malgré les demandes répétées du Conseil national des écrivains, Paul Eluard n’a pas droit à des obsèques nationales et il est enterré le 23 novembre au Père-Lachaise, au milieu d’une foule douloureuse. « Ce jour-là, le monde entier était en deuil », écrira Robert Sabatier dans son Histoire de la poésie française.
La radio se joint à l’hommage national en rediffusant ce jour-là une « carte blanche » au poète, dans laquelle il prononçait une introduction à son poème « Dit de la force et de l’amour » écrit à la mort de Nusch et dans laquelle il enjoignait le monde à crier « je t’aime ».
« Hommes, femmes en proie à ce délire qui entoure chaque naissance du souvenir de la seule communion réelle, hommes, femmes, qui perpétuellement naissez à l'amour, avouez à haute voix ce que vous ressentez, criez “je t’aime” par dessus toutes les souffrances qui vous sont infligées, contre toute pudeur, contre toute contrainte, contre toute malédiction, contre le dédain des brutes, contre le blâme des moralistes.
Criez-le même contre un cœur qui ne s'ouvre pas, contre un regard qui s'égare, contre un sein qui se refuse. Vous ne le regretterez pas car vous n'avez d'autre occasion d'être sincère, tout le bonheur du monde dépend de l'intensité de votre cri qui passera de bouche en bouche à l’infini.
Votre cri vous fera grand et il grandira les autres. Il vient de loin, il ira loin, il ne connaît pas de limites. »
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Pour en savoir plus :
Jean-Charles Gateau, Paul Éluard ou le frère voyant, Robert Laffont, 1988
Jacques Gaucheron, Paul Éluard ou la fidélité à la vie, Le Temps des cerises, 1995