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André Claudot, itinéraire d’un artiste anarchiste

le par - modifié le 09/09/2021
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Témoin privilégié des égarements du XXe siècle, le dessinateur et peintre André Claudot se rallie à la cause anarcho-syndicaliste dès la fin des années 1910. On retrouve régulièrement ses dessins, éblouissants, dans Le Libertaire au cours des deux décennies suivantes.

L’itinéraire d’André Claudot se confond largement avec son siècle, le XXe, même si l’artiste naît le 14 février 1892 au-dessus de la lutherie paternelle, à l’époque la seule lutherie établie à Dijon, vantée par des publicités dans la presse locale. De ce fait, en 1933, le long article sur le peintre du critique d’art Yvanhoé Rambosson (Mobilier et Décoration), débute ainsi  :

« Par un hasard qui sert magnifiquement de frontispice à toute sa vie, André Claudot est né à Dijon, rue de la Liberté. » 

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Un adolescent rebelle ?

Rambosson nous raconte donc qu’ « au lycée, hanté par ses goûts artistiques, il abandonne souvent la classe pour courir les coteaux, un carton à dessin sous le bras » et qu’à treize ans, en 1905, « on lui permet d'abandonner le "bahut" pour l'École Nationale des Beaux-Arts de Dijon ». Mais le journaliste ne dit pas tout. Lors de ses entretiens avec des critiques, l’artiste a en effet toujours occulté l’année 1904, où, comme une dizaine d’adolescents, il a été violé par un pédophile, client de son père. 

Claudot ne semble jamais avoir parlé de cette affaire à la presse ou même plus tard à des amis. C’est donc dans la rubrique judiciaire de la presse régionale, au moment du procès aux assises en août 1904, qu’on en apprend plus sur ce traumatisme subi alors qu’il a à peine 12 ans. On comprend mieux de ce fait l’école buissonnière, l’exclusion du lycée, puis celle du domicile familial durant l’hiver 1904-1905. 

Les critiques des années trente, dont Mobilier et décoration, suivent eux la parole du peintre, qui brosse son portrait en adolescent rebelle et soucieux de liberté :

« Son esprit délié décelait vite les travers des maîtres. Les murs de l'établissement se couvraient de caricatures dont fut rapidement dévoilé l’auteur.

Malgré certains professeurs qui l'aimaient bien, on renvoyait parfois André Claudot pour quelques jours chez son père. Le jeune homme profitait de ces vacances forcées pour élaborer quelques charges qu'il arrivait à faire accepter par le Cri de Dijon, le Bloc Républicain ou Dijon-Escholier. » 

On peut aussi retracer le début de sa formation artistique à travers les listes de prix obtenus à l’École des Beaux-arts de Dijon publiées chaque année (Le PCO, 30 juillet 1907). Elles nuancent le portrait qu’en fait l'artiste (et donc la plupart des critiques), qui semble confondre son parcours à Dijon et celui aux Arts Décoratifs :

« Tant bien que mal cela marcha ainsi jusqu'à ce qu'il eût décroché une bourse pour l'Ecole supérieure des Arts Décoratifs.

Le voilà donc à Paris, de nouveau plein d'enthousiasme. Mais, là encore, il est déçu par l'enseignement officiel. Sa vision libre, son goût pour les impressionnistes et les indépendants s'accommodent mal des exigences pédagogiques. » 

Dans L’Art et les artistes, deux ans auparavant, Michel Florisoone répétait la même chose : 

« Boursier à l'Ecole des Arts Décoratifs, il n'y resta pas trois mois, se refusant à obéir aux méthodes imposées. » 

Seul le critique Robert Fegdal (dans l'ABC Littéraire et artistique) explique qu’il devient à Dijon « l’un des meilleurs élèves de l’école des Beaux-arts ».

Artiste et anarchiste

Si la plupart des critiques d’art font le portrait d’une « forte tête » au caractère très tôt affirmé, ils ne détaillent pas le parcours militant du peintre, qui lui aussi commence très tôt. 

À Dijon, le jeune élève fréquente les cafés où se rencontrent socialistes ou anarchistes. À Paris, où il débarque à la fin de l’été 1909, il subit d'abord de plein fouet le choc de la première manifestation parisienne liée à l'exécution de Francisco Ferrer. À Montmartre, où il s’installe lors d’un deuxième séjour parisien, il rencontre l’équipe du Libertaire : Pierre Martin, Hélène Lecadieu, Victor Serge, Jules Grandjouan… Il commence à dessiner pour l’hebdomadaire et pour Les Hommes du jour de Sébastien Faure. Cela va rapidement le conduire dans les colonnes de la presse nationale, à l’occasion d’un procès intenté au Libertaire pour un dessin s’insurgeant contre l’appel à l’armée pour réprimer les manifestations. Mais Louis Jacquemin, le gérant du journal, accepte la responsabilité du dessin, et dit ne pas connaître le jeune artiste qui échappe ainsi aux poursuites.

Prudemment ce dernier s’est déjà réfugié à Dijon. Il a raison ! Au début de l’affaire, on ne parle du fils du luthier dans Le Progrès de la Côte-d’Or (14 octobre 1911) que pour une exposition de toiles cubistes chez un des commerçants de la ville ! Cependant, Claudot ne va pas tarder à apparaître aussi dans les rubriques juridiques provinciales, car il ne se contente pas d’exposer seul, ou avec des amis des Beaux-arts dans les magasins de la ville. Il milite avec tous les antimilitaristes et les anarcho-syndicalistes de la région à la Bourse du travail de Dijon, participant aussi à la création d’un Comité de défense sociale local.

En juillet 1913, il est à la réunion en plein air organisée au Carrousel de Dijon par l’Union des syndicats de la Côte-d’Or, le Groupe socialiste dijonnais et la Fédération des syndicats ouvriers de la Nièvre. Il y expose des œuvres aux titres suggestifs, très éloignées des paysages impressionnistes qu’il propose à la vente : « Tu ne tueras point ! », « Le Militarisme », « Chien de garde du capital » ou encore « Guerre à la guerre ».

En 1912, ses activités militantes antimilitaristes lui ont d’ailleurs valu d’être inscrit au Carnet B des individus pour la sûreté nationale. Au printemps 1914, on le retrouve aux côtés de La Libre pensée, lors de leur congrès national qui a lieu à Dijon. Il a offert un tableau, « très admiré » qui « orne la salle du banquet dans le gymnase avec drapeaux : “Vers la raison contre les dogmes pour l’universel bonheur.” » (Le Progrès de la Côte-d’Or). 

Une autre de ses œuvres engagées est remarquée au Salon dijonnais des Amis des arts, la même année. Pour le critique dijonnais, qui ne semble pas y voir une dénonciation des conditions de travail dans la Verrerie de Dijon, et en particulier celle de l'exploitation du travail d’enfants étrangers :

« Les verriers peinent avec naturel sous le pinceau de Claudot. »

Pourtant, pour faire les croquis dont il tire cette composition, les ouvriers se sont mis en grève pour forcer le patron à lui ouvrir les portes de l’usine !

Un peintre dans la guerre

1914, est l’année de l’entrée en guerre. On perd alors la trace du militant et de l’artiste qui va se fondre, cinq années durant, dans la masse des poilus. 

En Bourgogne, on sait que sa mère fait un don en nature pour les soldats de l'œuvre du « Petit Paquet » en novembre 1914, mais du soldat Claudot, rien. Malgré tout, dans la presse militante, et en particulier dans Ce qu’il faut dire de Sébastien Faure, Claudot continue d’envoyer des dessins antimilitaristes, dont un signé de son nom et qui paraît en mars 1917, un peu avant le début le vague de mutineries. Il craint pendant quelque temps le Conseil de guerre. Rien ne se passe…

Cette guerre dont l’artiste ressort encore plus pacifiste qu’avant, est racontée au début des années trente par les quatre critiques qui vont lui consacrer de longs articles, notamment dans L’Art et les artistes, la revue artistique et littéraire de la société bourguignonne du même nom.

Avec son style bien particulier, Claudot en parle aussi dans L’Essor, en août-Septembre 1929

« Parti à la guerre en 14, cartouchières bourrées... de tabac pour la pipe, carton à dessin sous la patelette du sac, il en sort en 19 – physiquement indemne, moralement intact – avec plusieurs centaines de documents (à charge), après quelques enivrants tête-à-tête – chère Madame – avec les macchabées et les rats de Lorette, Souchez, Tahure, Verdun et autres lieux. »

Au total, ce sont effectivement des centaines de dessins et de croquis, en fait le plus souvent à l’encre, qui documentent le conflit entre le front occidental et le front balkanique.

Octobre 1919 : Claudot est démobilisé dans les Balkans. Son retour en France est vite suivi par son mariage à Dijon, le 15 novembre, avec sa marraine de guerre, la jeune Suzanne Verriest, qui restera soixante ans à ses côtés. 

La Ruche et le Montparnasse des artistes

Le couple s’installe à Paris au début de l’année vingt, d’abord au Quartier latin puis à La Ruche, au moment où Soutine la quitte, découvert par le riche collectionneur américain Albert Barnes.

Suzanne pique (elle travaille comme couturière pour les Galeries Lafayette) et André peint, aussi bien des toiles, que des décors pour des salons (Salon de l’Auto en 1924 où il est chef de chantier, Salon des arts décoratifs en 1925), notamment pour l’entreprise de Tony Vergnolet, un décorateur installé Villa d’Alésia depuis le début du siècle, dans l’allée où Henri Matisse a eu son atelier. Le peintre réussit aussi à se faire embaucher dans l’atelier de composition du journal de centre-droit Le Matin, ce qui assure un petit salaire fixe et lui laisse du temps libre pour peindre.

A partir de 1922, une ou deux dizaines d’articles de presse nous permettent de suivre le jeune peintre qui expose dans les Salons (salons de la nationale, d’automne, et des artistes indépendants). En ce tout début des années vingt, elle nous transmet cependant pas sa présence lors d’expositions collectives et engagées du Montparnasse artistique qui veut s’imposer sans les Salons ou les marchands, comme celle organisée par Robert Clergé (qui a fondé en 1919 la Compagnie des peintres et des sculpteurs professionnels) et Serge Romoff en 1921. Claudot expose pourtant en juin 1921 à l’exposition des Cent du Parnasse (L’Intransigeant, 4 juin 1921).

Aussi, dans les articles que le critique André Warnod écrit sur l’Ecole de Paris à partir de 1924, ou plus exactement sur « la jeune peinture de Montparnasse », on trouve la mention de son nom, parfois mal orthographié en « Clodot » (Comoedia, 17 février 1924).

Et le Claudot anarchiste dans tout cela ? Et bien il dessine à tour de bras pour la presse militante, à commencer par Le Libertaire dont il devient le principal collaborateur en 1920, et ce jusqu’à la fin de l’année 1923, au moment de l’affaire qui oppose le journal anarchiste à Léon Daudet, autour du suicide du fils de l’écrivain et journaliste de L’Action française. On compte, durant cette période, une cinquantaine de dessins pour Le Libertaire, sans doute autant pour La Revue anarchiste (même si ce sont souvent des en-têtes de rubriques reprises d’un numéro à l’autre), un peu moins pour La Jeunesse anarchiste, qui ne tient qu’un peu plus d’une année (1921-1922)… Ces dessins sont aussi repris par la presse libertaire à l’étranger.

À travers ces caricatures de presse se révèle toute la trame d’un engagement révolutionnaire pacifiste, anticlérical, antimilitariste, anticolonialiste et anticapitaliste, s’opposant à toutes les formes de pouvoir (judiciaire, policier, militaire ou religieux).

Comme avant 1914, le peintre libertaire continue d'accuser la répression gouvernementale et de défendre les prisonniers politiques, surtout anarchistes, en France (Germaine Berton, Eugène Cottin), comme en Espagne. Il lutte toujours contre les bagnes militaires. Claudot suit aussi l’actualité de la presse anarchiste quand elle s’insurge contre des régimes politiques étrangers (polonais, espagnol, hongrois, italien), souvent considérés comme complices de la IIIe République.

Les révolutions russes l’ont autant ébranlé que la guerre. Si on n’en a pas de traces en 1917, plusieurs dessins témoignent de son adhésion à l’idéal révolutionnaire de la République des Soviets. En 1920, il va ainsi dessiner pour le journal Clarté créé par Henri Barbusse, Paul Vaillant-Couturier, du côté de ces socialistes révolutionnaires qui rejoindront le parti communiste. Il adhère d’ailleurs à l’ARAC cette année-là. Le naufrage de son ami Marcel Vergeat, avec Jules Lepetit et Raymond Lefebvre, qu’il dessine pour Le Libertaire le 19 décembre 1920, sera rétrospectivement considéré par l’artiste comme le point de rupture avec les communistes – même si c’est sans doute plus progressif et lié à la répression contre les anarchistes en Russie.

Même si « la grande lueur à l’Est » faiblit pour lui, en mars 1921, il défend les marins de la mer Noire emprisonnés (en particulier les anarchistes, le 11 octobre). En mai, il commémore la Commune dans un deuxième dessin pour Le Libertaire qui lie les événements du passé à ce qui se passe dans la jeune Russie des Soviets. En août encore, il appelle à la solidarité internationale à l’égard du peuple russe affamé (12 août 1921).

Après 1924, il va un peu laisser de côté la caricature de presse. Durant toute cette période parisienne, Claudot va beaucoup exposer collectivement. Même quand il est en Chine entre 1926 et 1930, il a gardé son atelier de La Ruche où ses toiles sont entreposées et il envoie des dessins de Chine à Dijon en 1929. Il participe également à des groupes d’artistes (Le Sycophante, le groupe Clergé, L’Essor…) dont un certain nombre sont de sensibilités libertaires, comme Jules Zingg, Germain Delatousche, Paul-Emile Pissarro, Jean Lébédeff... En 1926, grâce à son ami Marcel Bach, qui expose avec lui, il peut enfin accrocher ses œuvres sur les cimaises d’une galerie parisienne pour une première exposition personnelle.

Elle est remarquée par le critique Gustave Kahn qui écrit dans Le Quotidien (1er juin 1926) :

« Claudot qui s’affirmait dans une récente exposition, peintre de grands tableaux avec son Chez le luthier, accroche à La Palette française de très bonnes natures mortes et surtout, des paysages des confins de Paris, maisons serrées et sombres, aspects des chemins de fer de ceinture, par des temps gris épais, dans une atmosphère roussâtre, d’un aspect véridique et intense. »

Pourtant le galeriste (le critique Robert Guillou), qui trouve Claudot trop sombre, a refusé de les mettre en pleine lumière. Malgré tout, en 1931, Charles Fegdal (de l’ABC Littéraire et artistique) fait de cet événement un tremplin vers la notoriété :

« Une petite exposition, en 1926, avec son ami Marcel Bach, lui vaut d’être remarqué et encouragé par Bourdelle. Le grand statuaire alors contribue à faire acheter par l’État, à cette exposition, une toile de Claudot. »

 En fait, ces toiles de la Zone, des démolitions des fortifications, des confins de Paris sont effectivement appréciées par Bourdelle, mais c’est le sculpteur et non l’Etat, qui finalement en acquiert une. Est-ce vraiment le début de la célébrité ? Pas tout à fait, au vu du petit nombre d’articles…

En Chine

Si, en septembre, ses toiles exposées au salon de L’Essor à Dijon sont commentées en quelques lignes, surtout par des critiques bourguignons, c’est davantage son départ en Chine qui semble attirer un peu d’attention. Le Journal des débats politiques et littéraires (26 septembre 1926) confond même Claudot avec le nouveau directeur de l’école des Beaux-Arts de Pékin, le peintre Lin Fengmian (1900-1991).

Ce séjour chinois, fondamental dans sa carrière et dans sa vie, c'est Claudot lui-même qui va d’abord le raconter dans la revue L’Essor, dans plusieurs articles, dessins et poèmes publiés en 1927, puis en 1929, après qu’à l’été 1928, il ait quitté Pékin pour la nouvelle école d’art fondée sur du lac de l’Ouest, à Hangzhou.

A son retour, entre 1931 et 1933, il retrace à nouveau oralement ce séjour pour les critiques, notamment après l’exposition d'œuvres chinoises de la galerie Barreiro en octobre-novembre 1931, ou après l’exposition au Salon de l’Essor de ses toiles chinoises en 1932. Cette fois, c’est au total plus d’une vingtaine de critiques parues, dont les cinq grands formats évoqués. Elles font toutes, à des degrés divers, l’éloge d’une exposition qui est même prolongée (La Renaissance, novembre 1931, p. 322).

L’exposition de la galerie Barreiro est en fait une exposition parallèle à la grande exposition coloniale de 1931, ce que des critiques de gauche comme Gustave Kahn (Le Quotidien, 11 octobre 1931) ont en tête :

« L’exposition coloniale provoque quelques expositions latérales, petites expositions particulières d’artistes qui ont donné une part de leur vie à l’exotisme.

Parmi eux Claudot, qui appelé à l'enseigner la peinture à une Université de Pékin, a passé là quelques années et en a rapporté quelques notations précieuses de vie de foules, de paysages, d’architecture. [...]

Claudot est un excellent peintre dont quelques tableaux de vie parisienne, de techniques sobres, et d’intimité pénétrante, avaient fondé la réputation. Son voyage en Chine met en relief la souple variété de son talent. »

Beaucoup jugent que Claudot transmet une Chine « véridique ». Ils font alors une différence entre séjour et voyage, comme l’indique pour La Renaissance (novembre 1931) l’écrivain Paul Sentenac qui juge l’exposition remarquable :

« André Claudot, qui a vécu en Chine, nous a donné de Pékin et de Hangtchéou des vues d'un pittoresque véridique, depuis les temples aux angles relevés, les boutiques bariolées. »

Même son de cloche dans Comoedia (12 octobre, p. 3) pour qui René (sic) Claudot « peut donc parler de la Chine non pas en touriste, mais comme quelqu’un qui y a vécu, qui en connaît la vie de tous les jours, les rues, les maisons, les habitants, les habitudes. Cela donne à son exposition un intérêt très vif ».

D’autres, le disent en reprenant la préface du catalogue écrite par Charles Fegdal, comme Louis-Léon Martin dans Paris-Soir (16 octobre) :

« André Claudot, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Pékin, puis à l'Ecole, nationale de Hang-Tchéou, a connu la Chine des Chinois, la Chine populaire, celle qui est presque impossible d'aborder et de connaître. Il a su fixer les gens dans leurs attitudes familières et leurs aspects particuliers, les boutiques, les maisons et les rues, les lieux sacrés, les lacs et les montagnes.

Nul comme lui n'a observé et traduit les gestes habituels aux mendiants et aux musiciens, aux sampaniers et aux marchands ambulants, la silhouette significative des pagodes et des jonques, les nuits aux cabarets.

C'est une Chine vivante et vraie, sans faux lyrisme, sans littérature, que nous montre Claudot sincère et simple. »

Cependant, Louis-Léon Martin nuance en expliquant :

« Certes, mais Claudot, ce faisant, nous fournit aussi des raisons de nous évader, de partir; matière à imaginations et à rêves. Et nous partons dans un rêve où les couleurs et les formes nous subjuguent. »

Gustave Kahn, cette fois dans Le Mercure de France (15 novembre 1931), juge que Claudot fait partie de ces « jeunes peintres au métier sûr, indifférents à la mode, épris de réalité transfigurée uniquement par la joie de peindre et l'amour du thème choisi ».

« [C’est] toute une série de types populaires, sampaniers, chiffonniers, marchands de viande cuite, godilleurs, tragédiens en costume hiératique, masqués et armés, étudiantes au type lisse et hardi, porteurs d'eau, mendiants et des groupes de faméliques d'une intense expression de détresse, décharnés et noirâtres. […]

C'est une précieuse série de notes, le plus souvent détaillées, sur la vie populaire en Chine. Elle y apparaît aussi miséreuse près des usines électriques auxquelles le peintre a tout de même donné une place, qu'aux limites des grands jardins. »

D’autres journalistes font brièvement allusion au contexte politique que traverse la Chine, qui a profondément affecté le séjour de l’artiste ; il a en effet assisté à Pékin à l’exécution de plusieurs étudiants révolutionnaires de l’école.

Durant l’automne 1927, il reçoit des courriers de ceux qui, avec Lin Fengmian, ont fui la capitale, qui est, encore pour peu de temps, sous la coupe du seigneur de guerre Zhang Zuolin. Fegdal (ABC Littéraire et artistique) écrit :

« Il demeurera cinq [en fait quatre] années en Extrême-Orient, malgré le danger, les troubles politiques, les révolutions et la xénophobie ». Turpin, en une phrase erronée, résume une situation complexe. Si Claudot doit quitter Pékin, c’est juste que « le gouvernement instable ne payait plus ses fonctionnaires. »

En réalité, c’est la répression contre les communistes qui contextualise ces bouleversements : Lin Fengmian est démis de ses fonctions de directeur ; les études de nu proposées dans les cours de Claudot font scandale… Selon Claudot (L’Essor, 1929), l’école est même fermée (ce qui n’est sans doute pas le cas).

C’est sans doute Michel Florisoone (L’Art et les artistes, p. 96-97) qui rappelle le plus les difficultés, notamment matérielles, que rencontre alors l’artiste. Mais le critique s’intéresse avant tout au rôle du Claudot enseignant d’art et médiateur de l’art français en Chine, le comparant à celui, en fait plus officiel, de Victor Tardieu, à l’École des Beaux-arts de Hanoï :

« Il y accomplit – on peut résumer ainsi son œuvre – trois tâches : d'abord aider les Chinois à retrouver leur art propre; servir ensuite l'art français, et enfin se perfectionner lui-même en enseignant les autres. »

Ce rôle joué par Claudot en Chine n’est pourtant pas vraiment reconnu une fois son retour en France. L’artiste sera ainsi cantonné dans la « figure exotique » et caricaturale du peintre ayant vécu en Chine, accueillant ses visiteurs parmi ses toiles chinoises, avec de la musique jouée sur un gramophone ramené d’Asie, comme d’autres objets… Yvanhoé Rambosson, dans Mobilier et Décoration, dira de lui :

« Quatre ans durant, à Pékin d'abord, ensuite à Hangtchéou, André Claudot va se mêler intimement à la vie populaire chinoise, en peintre, en curieux, en observateur philosophe.

Au milieu des événements révolutionnaires, ayant à surmonter de continuelles vicissitudes, il accumule des notations d'une exceptionnelle saveur, que nous vîmes rassemblées, en 1931, à la galerie Barreiro et en 1932, à Dijon, au Salon de l'Essor. [...]

Évocations puissamment synthétiques d'un Etat à la fois barbare et raffiné ! Je crois que rien ne peut donner à un Européen une idée plus complète de la Chine que les œuvres d'André Claudot. »

La Chine restera toujours présente dans la vie de l'artiste. Cependant, avec la crise économique, Claudot n'accèdera pas à la notoriété. Rentré en Bourgogne en 1935, peintre engagé jusqu'à la fin de sa vie, il deviendra ensuite socialiste, puis communiste, via la Résistance.

Pour en savoir plus :

Rachel Mazuy, Jessica Watson, André Claudot. La couleur et le siècle, catalogue de l’exposition « André Claudot. La couleur et le siècle », Musée des Beaux-Arts de Dijon du 25 juin au 20 septembre 2021

Rachel Mazuy, Un texte autobiographique d’André Claudot pour le Maitron. Avril 1974», in « Circulations, transferts et engagements politiques », Hypothèses, 4 septembre 2018 [en ligne]

Jean Maitron  et Rachel  Mazuy, « Claudot, André », Le Maitron. Dictionnaire biographique Mouvement ouvrier Mouvement social, 25 octobre 2008 (6 mars 2021) [en ligne].

Jean Nicolaï et Jean-Marie Troussard, André Claudot : un peintre en Occident et Orient, Taipei, Gallery 333, 2021.

L'exposition du Musée des Beaux-arts de Dijon est encore visible jusqu'au 20 septembre 2021 (entrée libre et gratuite). Des journées d'études et une table ronde se tiendront à Dijon (Nef, 1 place du théâtre) et à Saint-Denis (auditorium du GED du campus Condorcet) les 16-17 et 20 septembre.