Quand Brazzaville était la capitale de la France Libre
Le 27 octobre 1940, le général de Gaulle crée à Brazzaville, en Afrique-Équatoriale Française, un Conseil de Défense de l'Empire qui tient lieu de gouvernement. C'est aussi de Brazzaville que sera publié le Journal Officiel de la France Libre.
« La France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. » Lorsque le général de Gaulle lance à la radio son appel du 18 juin 1940, il sait que le territoire français de l'époque est loin de se résumer à la métropole, conquise par les Allemands.
De fait, après la bataille de Dakar du 23 au 25 septembre 1940, qui voit la défaite de la France libre et des Anglais face aux Français vichystes, de Gaulle se rend avec ses troupes en Afrique-Équatoriale Française. Immense territoire regroupant quatre colonies françaises d'Afrique centrale (les actuels Gabon, République du Congo, Tchad et République Centrafricaine), sa capitale est Brazzaville.
Là, de Gaulle rassemble ses fidèles. Parmi eux, Félix Eboué, lieutenant-gouverneur du Tchad, qui fut l'un des premier à rallier les Force Françaises Libres – ce qui lui vaudra une condamnation à mort par contumace de Pétain – mais aussi d'autres haut gradés de l'armée française (Larminat, Muselier, Leclerc...).
Le 27 octobre, de Gaulle institue à Brazzaville, par ordonnance, un Conseil de défense de l'Empire qui, pendant plus de deux ans, tiendra lieu de gouvernement de la France Libre. Il crée aussi un Bulletin Officiel des Forces Françaises Libres, qui deviendra bientôt le Journal Officiel de la France Libre. C'est là que sera publiée, le 20 janvier 1941, l'ordonnance du 27 octobre :
« La France traverse la plus terrible crise de son histoire. Ses frontières, son empire, son indépendance et jusqu'à son âme sont menacés de destruction.
Cédant à une panique inexcusable, des dirigeants de rencontre ont accepté et subissent la loi de l'ennemi. Cependant, d'innombrables preuves montrent que le Peuple et l'Empire n'acceptent pas l'horrible servitude. Des millions de Français ou de sujets français ont décidé de continuer la guerre jusqu'à la libération. Des millions et des millions d'autres n'attendent pour le faire que de trouver des chefs dignes de ce nom.
Or, il n'existe plus de gouvernement proprement français. En effet, l'organisme sis à Vichy et qui prétend porter ce nom est inconstitutionnel et soumis à l'envahisseur. Dans son état de servitude, cet organisme ne peut être et n'est en effet qu'un instrument utilisé par les ennemis de la France contre l'honneur et l'intérêt du pays.
Il faut donc qu'un pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre. Les événements m'imposent ce devoir sacré. Je n'y faillirai pas [...].
C. de Gaulle »
Pour de Gaulle comme pour ses soutiens, il y aura donc désormais, face à l’État français de Vichy, un « Empire français libre » basé au cœur de l'Afrique.
En métropole, les journaux collaborationnistes s'en prennent violemment au « général félon », chef de la « dissidence » installée à Brazzaville. L'Action française raconte dès novembre 1940 le sort – sans doute largement romancé – des militaires d’Afrique-Équatoriale Française ayant refusé de se « soumettre » à de Gaulle :
« Il y a quelques jours sont passés en gare de Cerbère, venant de l'Afrique Équatoriale Française, un grand nombre d'officiers français et de coloniaux désireux de se mettre à la disposition du gouvernement du Maréchal Pétain [...].
Ces fidèles serviteurs de l'Empire français qui, au péril de leur vie ont résisté aux rebelles et à leurs maîtres anglais, avaient été d'abord sollicités d'accepter de hautes fonctions. Devant leurs refus, ils ont été gardés à vue et ont passé de longues semaines dans un camp sous la menace de mitrailleuses avant d'être expulsés sans aucun ménagement avec leurs femmes et leurs enfants. »
Le Journal, le 11 novembre, injurie de Gaulle et ses hommes :
« Le peuple anglais sait-il que ses vaisseaux, ses bombes, son or, sont au service de pareille cause ? Sait-il que de Gaulle et de Larminat, qui devaient se battre à ses côtés contre l'Allemagne, ont consacré leurs efforts à travailler contre la France, à tuer des Français, à les insulter parce qu'ils sont fidèles à leur patrie ?
Non seulement ces hommes sont des traîtres, ce sont aussi des lâches. »
Toujours dans la presse vichyste mais dans un registre plus timoré, Robert Poulaine du Temps dresse un bilan nécessairement négatif de « la situation en Afrique noire française » :
« Géographiquement la zone dissidente couvre donc la totalité des territoires de l’Afrique-Équatoriale française et le Cameroun sous mandat [...]. Politiquement toutefois, l’opération apparaît beaucoup moins avantageuse. En premier lieu, il s’en faut de beaucoup qu’elle ait rallié l’unanimité des esprits européens, car il ne saurait être question des masses indigènes dociles au commandement, d’où qu'il vienne. »
Il ajoute :
« De tout cela on peut conclure que si, selon le vieil adage, “bien mal acquis ne profite jamais”, l’écroulement de l’édifice viendra aussi vite que fut rapide son érection. Les signes se multiplient déjà de son délabrement précoce [...]. L’histoire ne pourra manquer de les juger sévèrement, même avec le recul des années si souvent propice à la clémence. »
Le 14 octobre 1941, de Gaulle publie encore dans le Journal Officiel de la France Libre une « déclaration organique » invalidant la légitimité de Vichy.
« Considérant que la situation résultant de l'état de guerre continue à empêcher toute réunion et toute expression libre de la représentation nationale ;
Considérant que la Constitution et les lois de la République Française ont été et demeurent violées sur tout le territoire métropolitain et dans l'Empire, tant par l'action de l'ennemi que par l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui ;
Considérant que de multiples preuves établissent que l'immense majorité de la Nation française, loin d'accepter un régime imposé par la violence et la trahison, voit dans l'autorité de la France Libre l'expression de ses vœux et de ses volontés [...] »
Radio-Brazzaville devient également la station de la France Libre, émettant jusqu'en métropole. La presse vichyste se voit obligée de la contredire régulièrement, comme ici le 9 mai 1941 :
« Nous vous avons indiqué à maintes reprises quels étaient les procédés de la propagande gaulliste. Nous avons montré, en particulier, que les fausses nouvelles lancées sur les ondes étaient reprises comme une information, d’abord par des postes anglais, puis par Boston, et finissaient par être présentées aux auditeurs comme l’expression d’un fait contrôlé et indiscutable. »
La propagande anti-gaulliste se poursuivra abondamment jusqu'à la Libération. En juin 1942, Le Petit Parisien publiera un récit des « rescapés des geôles de la “France Libre” ». « Des juifs, d'anciens relégués, des aventuriers tiennent à Libreville et à Brazzaville le haut du pavé », relatera le quotidien vichyste.
En décembre 1943, c'est Je Suis Partout qui fera paraître un « témoignage » intitulé « Comment je me suis échappé de Brazzaville ».
À la fin de la campagne de Tunisie, en mai 1943, l'ensemble de l'empire colonial français, à l'exception de l'Indochine, a basculé dans le camp de la France Libre. Le statut de capitale, lui, est entre-temps passé à Alger.
Mais c'est à Brazzaville qu'aura lieu une fameuse conférence du 30 janvier au 8 février 1944. De Gaulle y jettera les bases d'une future émancipation des colonies d'Afrique centrale – bases toutes relatives, toutefois, puisqu'il est prévu que la France y garderait sa place.
Brazzaville est aujourd'hui la capitale de la République du Congo.
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Pour en savoir plus :
Jérôme Ollandet, Brazzaville, capitale de la France Libre, L'Harmattan, 2013.