De l’Antiquité à nos jours, la longue histoire des otages
Le concept de « prise d’otage » a-t-il toujours désigné une même réalité ? D’Homère à Louis XVI, l’historien spécialiste des relations internationales Gilles Ferragu mène une large enquête sur cette « monnaie d’échange » des conflits internationaux, qui a curieusement traversé les siècles.
Dès la haute Antiquité, les otages sont des rouages indispensables aux relations entre États. Garants vivants de la « parole des princes », ils sont associés malgré eux à chaque alliance, chaque traité.
Au XIXe siècle, l’armée les utilise comme boucliers humains, jusqu’en 1945, où la prise d’otage devient légalement un crime de guerre. Cette pratique est désormais associée aux diverses formes de terrorisme local et international, des FARC en Colombie jusqu’à Daech.
En s’appuyant sur des sources originales, l’ouvrage Otages, une histoire De l’Antiquité à nos jours, paru aux éditions Gallimard, retrace la généalogie d’une pratique très ancienne pour proposer une véritable relecture des relations internationales. Nous en avons discuté avec son auteur, l’historien Gilles Ferragu.
Propos recueillis par Mazarine Vertanessian
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RetroNews : Commençons par le mot lui-même. Qu’est-ce qu’un otage ?
Gilles Ferragu : De nos jours, c’est une personne qui est capturée, prise à parti dans un conflit entre un État et une organisation terroriste. Ceci dit, le mot a été dévoyé et, dans le langage courant, on peut être otage de tout : d’une grève, d’une décision administrative, d’une panne dans les transports…
Ce glissement a fait perdre au mot son sens originel qui est nettement plus dramatique. Un otage est quelqu’un privé de sa liberté, sans avoir commis de crime, mais en raison d’une cause qui le dépasse.
« La terreur en Serbie – Cent maires ont été exécutés », La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 1918
Dès l’Antiquité, on recense des otages ; quel est alors leur rôle ?
Dans l’Antiquité, l’otage est envoyé par un souverain à un ennemi pour garantir sa parole. En général c’est une personne précieuse pour ses compétences ou un membre de la famille du chef d’État, comme Philippe de Macédoine qui fut livré par son frère Alexandre II au IVe siècle avant Jésus-Christ.
L’otage est alors remis volontairement et matérialise la bonne foi du prince, que ce soit pour signer un traité, conclure une paix après une guerre ou garantir le versement d’une somme. Si la parole n’est pas tenue, des représailles peuvent être exercée sur le captif.
Chez les Assyriens, les otages féminines sont intégrées au harem royal, quand les garçons sont élevés comme pages à la cour. En Gaule, César signale cette pratique comme un élément de la diplomatie entre tribus gauloises, pour assurer le sauf-conduit d’une armée ou pour conclure une Alliance.
Peut-on déjà dire que la prise en otage est un phénomène universel ?
Nous avons effectivement des cas en Égypte, en Mésopotamie, dans l’Empire perse, ainsi qu’en Asie. En Chine, sous les Han, de 206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C., les grands féodaux ont l’obligation de placer leurs fils à la cour et à la merci de l’empereur. Plus tard, sous Gengis Khan, l’Empire mongol, en expansion, impose à chaque royaume conquis d’envoyer un pourcentage de sa population comme otage.
« Le retour des otages », Le Figaro, janvier 1916
Au Moyen Âge, les otages deviennent parfois une condition d’accès à la souveraineté pour les rois…
Oui, dans les pays scandinaves et anglo-saxons : on les appelle des otages de souveraineté. Pour être et rester roi, il faut prendre en otage des membres de la famille des grands féodaux. Leurs enfants vivent à la cour, près du roi et loin de leurs parents. Cette pratique disparaît au moment où la souveraineté devient d’inspiration religieuse, sur le modèle latin et français notamment. Désormais, on sera roi non pas parce qu’on a des otages mais parce qu’on a été désigné par Dieu.
Il est aussi arrivé que les roi eux-mêmes soient pris en otage. Vous évoquez le cas de François Ier, capturé pendant une bataille lors des guerres d’Italie.
De notre point de vue moderne, on peut considérer que François Ier a été pris en otage car, en échange de sa liberté, il accède à certaines requêtes de l’ennemi. Mais pour l’époque il n’est pas otage – seulement captif. En revanche, il laisse ses deux fils comme otage pour recouvrer sa liberté.
Louis XVI et Marie-Antoinette sont aussi pris en otage pendant la Révolution. En 1791, après l’échec de la fuite de Varennes, le roi est gardé à vue dans le palais des Tuileries et devient otage involontaire des Parisiens. La Gazette de Paris, l’un des rares journaux monarchistes, s’en émeut et lance, les 10 et 11 juillet 1791, une initiative : réunir des otages, « des vrais royalistes » qui garantiront sur leur vie que le roi ne quittera pas le royaume. Mais tous les volontaires se font arrêter pour trahison.
Réponses des appels à la création d’un groupe d’otages afin de délivrer Louis XVI, La Gazette de Paris, 1791
Au milieu du XIXe, les otages deviennent un nouveau moyen de faire la guerre. Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon ?
Petit à petit, les otages disparaissent de la diplomatie, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus utilisés pour valider un engagement – par contre, on s’en sert en tant que garantie. Pendant les guerres napoléoniennes, des civils peuvent ainsi être capturés pour exercer une pression et maintenir l’ordre dans les territoires occupés. Napoléon est le premier à créer un statut d’otage, défini par le décret de 1811 : l’otage doit être traité comme un officier prisonnier. C’est-à-dire qu’on lui garantit une certaine liberté et il n’est mis en captivité que s’il trahit la confiance placée en lui.
Au cours des deux guerres mondiales, on assiste à de nombreuses prises d’otage parmi les civils...
Durant la Seconde Guerre mondiale, les otages sont en effet utilisés par les Allemands pour garantir l’ordre dans les zones contrôlées ; et il y a des représailles violentes dès qu’un attentat est commis contre l’occupant.
Moins connue est la prise en otage de 1 700 Juifs hongrois. En échange de deux millions de dollars, on les laisse partir en Suisse. C’est après la Seconde Guerre mondiale, à l’instigation des Américains, que les procès de Nuremberg et la IVe convention internationale de Genève de 1949 définissent la prise d’otage comme un crime de guerre.
Échos dans le journal gaulliste France du statut des quelque 1 700 Juifs hongrois détenus en tant que monnaie d’échange par Adolf Eichmann
C’est à partir de ce moment que la prise d’otage devient associée au terrorisme ?
Oui, c’est en Amérique du Sud, au milieu des années 1960, qu’on distingue une première utilisation stratégique de la prise d’otage dans le contexte de la « jungle urbaine ». Un groupe uruguayen de gauche, le MLN-Tupamaros, procède à la prise d’otage du président d’une entreprise d’État, qui avait récemment recouru à l’armée pour réprimer une grève. La prise d’otage est alors présentée comme une forme de justice populaire et révolutionnaire.
Cette théorie s’exporte vers l’Europe dans les années 70 et est récupérée par tous les mouvements d’extrême gauche : en Allemagne, en Italie, etc. Petit à petit, les prises d’otage perdent leur statut politique pour devenir des confrontations violentes à la limite de l’exécution.
Si l’on peut parler d’une école latino-américaine de la prise d’otage, peut-on envisager une école palestinienne du détournement d’avion…
Au début des années 1970, les militants de la cause palestinienne ont effectivement su internationaliser leur combat par une stratégie mêlant terrorisme et publicité. En ce domaine, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fait ses premières armes lors du détournement du vol Paris-Tel Aviv, le 23 juillet 1968. L’affaire dure quarante jours, le commando libérant une partie des passagers pour ne conserver, comme otages, que les 22 citoyens israéliens embarqués à Paris. Les terroristes parviennent finalement à leurs fins : Israël accepte de libérer seize prisonniers arabes.
L’exemple le plus emblématique de ce terrorisme, en tant eu moyen de pression et de communication, est la célèbre prise d’otage de Munich en 1972.
Cette prise d’otage est en effet devenue emblématique car elle a très mal tourné. Au moment des Jeux olympiques de Munich, qui doivent se dérouler du 26 août au 11 septembre 1972, le FPLP prend en otage onze athlètes israéliens, tuant d’emblée deux entraîneurs qui tentent de s’interposer. Bientôt suivent des revendications que les États refusent : la libération de 234 activistes palestiniens ainsi que d’activistes occidentaux.
L’Allemagne n’est pas du tout préparée à cet événement. Elle n’a pas de service anti-terroriste et c’est un entraîneur égyptien – sans aucune compétence dans le domaine – qui fait office de négociateur. Le commando exige d’être exfiltré avec les otages vers l’Égypte. Ils se rendent jusqu’à la base aérienne de Fürstenfeldbruck, où un Boeing 727 les attend, ainsi qu’un piège tendu par les autorités allemandes – mais l’intervention est mal préparée.
Une fusillade éclate et entraîne la mort de deux ravisseurs ainsi que de tous les otages, exécutés par les Palestiniens. C’est un véritable massacre… Suite à ce dramatique épisode, l’Allemagne crée son propre groupe anti-terroriste, bientôt imité par tous les pays du monde. Cet attentat devient l’un des plus médiatisés, avant ceux de 2001, er fait émerger pour la première fois le conflit israélo-palestinien dans l’actualité.
Aujourd’hui, on voit apparaître un phénomène nouveau, la prise d’otage crapuleuse dont l’objectif est purement financier.
Oui, du coup un véritable marché s’est développé autour des assurances, avec divers contrats « Kidnap and Ransom », des bureaux d’experts en négociation – et d’autres en paiement de rançon… Certains groupes terroristes – comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) – se sont fait une spécialité de ces enlèvements et ont réuni de véritables trésors de guerre, si bien que la question s’est posée, lors d’un G8 (2008), de savoir si l’on devait ou non accepter de verser de l’argent pour libérer des otages.
S’est ensuivi un long débat entre Européens et Anglo-saxons, car la Grande-Bretagne ne négocie jamais. Au point qu’il existe une formule désormais assez célèbre : « un passeport anglais est un certificat de décès ».
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L’ouvrage de Gilles Ferragu, Otages, une histoire De l’Antiquité à nos jours est paru en février 2020 aux éditions Gallimard.