1848-1879 : Les « Revues comiques » du dessinateur Cham
Pendant plus de trente ans, le dessinateur Cham tourna en dérision les mœurs des Français ainsi que les événements de la période dans ses célèbres « Revues comiques ». Reflétant l’esprit du temps, elles seront publiées dans Le Charivari puis dans les très conservateurs L'Univers illustré et Le Monde illustré.
La première « Revue comique de la semaine par Cham » paraît dans le quotidien satirique Le Charivari le dimanche 9 janvier 1848. L'artiste imagine neuf situations humoristiques autour du sujet qui préoccupe alors tous les Français : la grippe. Charles Amédée de Noé, dit Cham – dans la Bible, Cham est un des fils de Noé – n'est pas un inconnu des lecteurs de ce journal fondé en 1832 par Charles Philipon. Depuis plusieurs années, il y publie notamment des histoires en images dans le style de Rodolphe Töpffer et a collaboré au Musée Philipon en 1842. Ses créations sont également éditées sous la forme de petits albums.
Le principe d'un résumé comique hebdomadaire de l'actualité séduit la direction du Charivari qui décide de confier au caricaturiste, chaque dimanche, sa page 3. Très vite, les vignettes dominicales de Cham deviennent une institution et lui permettent de se démarquer des autres grands dessinateurs du quotidien. Le chroniqueur du Figaro Félix Ribeyre dira par exemple de de lui :
« Ses revues comiques de la semaine […] mirent sa personnalité en relief et consacrèrent sa réputation. »
Constituées de neuf puis de douze petits dessins et intitulées « Revue comique de la semaine », « Revue de la quinzaine » ou encore « Croquis », ces planches figurent dans le quotidien satirique presque sans interruption jusqu'à la mort de l'artiste en 1879.
À partir des années 1860, le très mondain L'Univers illustré (de 1864 à 1879) puis Le Monde illustré (de 1866 à 1879) insèrent, eux aussi, dans leurs numéros, des Revues comiques de Cham. Mensuelles, celles-ci comportent désormais douze vignettes :
Sur cette planche, différents sujets cohabitent : une maladie des huîtres, des courses hippiques avec le cheval vedette Gladiateur, le personnage du baron d'Estrigaud dans la pièce La Contagion d’Émile Augier, Victor Hugo et ses Travailleurs de la Mer...
Même si Cham n'est pas le seul à réaliser des croquis humoristiques sur l'actualité, son travail est reconnu par l’ensemble des observateurs, qui le qualifient régulièrement de « journaliste du crayon » à l'image du critique d'art Arsène Alexandre en 1892 :
« Cham fut un bon journaliste, ne laissant pas échapper le plus petit "écho", le plus futile événement parisien, le plus mince fait divers, sans y ajouter son mot pour rire. »
Les sujets abordés dans les milliers de petits dessins des « Revues comiques » sont innombrables. En véritable chroniqueur graphique de son temps, l'artiste cherche à faire sourire avec le moindre fait d'actualité ou avec des situations de la vie quotidienne. Afin de séduire le large public qui constitue le lectorat des journaux avec lesquels il collabore, le caricaturiste n'aborde pas les questions susceptibles de diviser et emploie, dans ses légendes, un humour simple ainsi qu'un style graphique classique.
Parmi cette profusion de vignettes, certains thèmes politiques, sociaux et culturels se démarquent.
Fils d'un pair de France, largement conservateur, Cham se montre quelque peu critique à l'égard des révoltés de 1848. Plus prudent par la suite, il étudie peu la politique du pays malgré les nombreux changements de régimes intervenus au cours de la période. Particulièrement présente à partir du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, la censure contraint également les caricaturistes à limiter leurs attaques à l'encontre des dirigeants. L'artiste évoque cette situation en 1851 après une énième condamnation du Charivari :
Moins censurés, les dessins sur les relations et les conflits internationaux occupent un grand nombre de « Revues » :
Ici, il s’agit d’un commentaire au sujet des autorités espagnoles qui, afin de préserver leur riche colonie cubaine de toute influence extérieure, interdisent le commerce des puissances étrangères avec l'île.
Là, ce sont de vignettes publiées à la fin de la guerre de Crimée (1854-1855), après la prise de Sébastopol par les troupes françaises et leurs alliés le 10 septembre 1855.
À l'issue du conflit franco-prussien et de la Commune, Cham réalise de nombreux croquis sur les conséquences de ces événements douloureux – et ô combien politiques. Pour le royaliste L’Univers illustré, il s'attaque ainsi, sans grande surprise, aux Communards et plus particulièrement aux « pétroleuses », ces femmes soupçonnées d'avoir allumé des incendies dans Paris, ou plus généralement, aux « républicains » :
Accusé de complicité dans la destruction de la colonne Vendôme et condamné à six mois de prison, le peintre communard Gustave Courbet devient une cible de choix pour Cham :
La satire sociale, plus consensuelle que la caricature politique, est présente dans la majeure partie des Revues comiques. La complexité des relations humaines, les nouveautés de la mode féminine ou encore les résultats scolaires des enfants de bourgeois passionnent ainsi le dessinateur. Chaque année, il reprend les mêmes « marronniers » afin d'être au plus près des préoccupations du moment de ses lecteurs : les étrennes en janvier, les courses de chevaux et les salons artistiques au printemps, les bains de mer et les fortes chaleurs en été, l'ouverture de la chasse et la rentrée des classes en automne...
Les Expositions universelles permettent à Cham de créer de nombreuses vignettes humoristiques sur les réactions des visiteurs, les pavillons ou encore les attitudes des étrangers en France. En 1867, lors de l'Exposition universelle de Paris, il rend hommage à Nadar dont le ballon Le Géant est montré au public sur l'esplanade des Invalides :
Passionné par le théâtre, Cham commente aussi avec régularité la vie littéraire et artistique. Spécialiste des salons caricaturaux, parodies de tableaux et de sculptures présentés dans les Salons, il multiplie les attaques contre les courants picturaux aventureux. Les œuvres d’Édouard Manet ainsi que celles de son cercle impressionniste sont systématiquement moquées. Les créations musicales de Richard Wagner subissent des critiques similaires.
Ainsi, lorsque Wagner inaugure le Palais des festivals de Bayreuth en 1876, Cham l'assimile (comme un grand nombre de commentateurs) à un « fou » digne de vivre dans l'asile d'aliénés de Charenton – et en profite pour en rajouter une couche au sujet des impressionnistes.
Dans le domaine des découvertes scientifiques, celles de Charles Darwin au sujet de l’origine des espèces inspirent également le caricaturiste :
Durant plus de trente ans, les Revues comiques de Cham ont amusé les Français. Cette longue collaboration de l'artiste avec trois périodiques majeurs de l'époque, témoigne de l'intérêt que le public portait alors à son travail, proche intellectuellement d’une grande partie du lectorat d’alors.
En dépit de leur humour facile et de leur caractère parfois répétitif, ces vignettes constituent une source majeure d'informations sur les années 1848-1879 – et leur « mentalité ». Elles révèlent les mœurs, les opinions, les joies, les peines, les passions mais aussi les goûts des Français à une période où ces derniers étaient confrontés à des changements politiques, sociaux et techniques sans précédent.