Chronique

7 octobre 1949 : la naissance de la RDA

le 06/10/2024 par Paul Maurice
le 04/10/2019 par Paul Maurice - modifié le 06/10/2024
Cadres de la nouvelle République démocratique allemande (RDA), octobre 1949 - source : Bundesarchiv-WikiCommons
Cadres de la nouvelle République démocratique allemande (RDA), octobre 1949 - source : Bundesarchiv-WikiCommons

Lorsqu’est proclamée la République démocratique allemande (RDA) le 7 octobre 1949, les journaux français se penchent sur les enjeux liés à la création d’un second État allemand. La naissance de deux États allemands a établi la division de l’Allemagne et a été un des révélateurs de la polarisation et des divisions idéologiques de la Guerre froide, notamment dans la presse française engagée.

Cycle : Il y a 70 ans naissait la RDA

70 ans de la RDA - 30 ans de la chute du Mur de Berlin

Avec Nicolas Offenstadt et un collège de spécialistes de la RDA, retrouvez jusqu’au 9 novembre une série d’articles pour réfléchir autrement à ce double anniversaire.

Découvrir l'intégralité du cycle

Dans un mois, le 9 novembre 2019, de nombreuses activités commémoratives marqueront les 30 ans de la chute du Mur de Berlin en 1989. C’est l’occasion de réfléchir à la fin du bloc de l’Est, à la « sortie du communisme » selon le titre récent de L’Histoire consacrée au thème, qui n’est pas une question achevée, à vrai dire, et marque encore de nombreux territoires.

À prendre l’histoire par la fin, on trouve toujours assez facilement des explications à son déroulement. Dans ce nouveau cycle de RetroNews, un collège de spécialistes de la RDA et de l’Allemagne proposera de réfléchir autrement à cette question, en partant de la création de la République Démocratique Allemande le 7 octobre 1949, il y a exactement 70 ans.

Certains fidèles, pour des raisons politiques et biographiques, par attachement, célèbrent cette date, à leur façon, par des publications et des commémorations, rappelant aussi les espérances que cette histoire avait pu susciter. Notre dossier documentaire se propose de partir des articles publiés en France lors de la création de la RDA pour mieux saisir le contexte des débuts de la Guerre Froide, quand les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale deviennent deux blocs que tout, ou presque, oppose.

– Nicolas Offenstadt

 – 

Le 12 octobre 1950, un an après la proclamation de l’État communiste allemand, l’hebdomadaire socialiste L’Émancipateur reprend la formule de Paul Vaillant-Couturier pour illustrer les divisions qui opposent les forces politiques françaises :

« À chacun ses Allemands ! À vous les capitalistes, à nous les prolétaires. »

La création de la RDA en octobre 1949 est la réponse soviétique à la fondation de la République fédérale d’Allemagne (RFA), à l’Ouest, le 23 mai 1949 comme le déclare L’Humanité le 3 octobre 1949 :

« L’URSS considère la création d’un État séparé d’Allemagne occidentale comme une violation de l’accord de Potsdam. »

En effet, en 1945 après la capitulation sans condition du « Troisième Reich », les accords de Potsdam aboutissent à la division du territoire allemand en zones d’occupations gouvernées par les quatre puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Après l’échec du blocus de Berlin en mai 1949, mis en place par Staline en juin 1948, les Occidentaux autorisent la création de la RFA, née de la fusion des zones occidentales.

RetroNews c’est plus de 2000 titres de presse française publiés de 1631 à 1952, des contenus éditoriaux mettant en lumière les archives de presse et des outils de recherche avancés.
Une offre unique pour découvrir l’histoire à travers les archives de presse !


Abonnez-vous à RetroNews et accédez à l’intégralité des contenus et fonctionnalités de recherche.

Newsletter

L’Humanité se fait l’écho au début du mois d’octobre 1949 de l’offensive diplomatique soviétique dénonçant « la création du Reich de l’Ouest ». L’article utilise des termes visant à assimiler la RFA au Reich hitlérien et reproche aux Alliés occidentaux de ne pas respecter les accords sur la question allemande :

« Radio-Moscou annonce que le gouvernement soviétique a fait remettre, le 1er octobre, aux ambassadeurs américain et britannique, et au chargé d’affaires français à Moscou, une note sur le problème allemand.

Cette note remise aux ambassades occidentales par Gromyko, ministre adjoint des Affaires étrangères, déclare que l’URSS considère la création d’un État séparé d’Allemagne occidentale comme une violation de l’accord de Potsdam. »

L’indignation des Soviétiques face au « séparatisme » des Occidentaux est perçue comme un prétexte pour justifier la création d’un État allemand à l’Est. En effet pour L’Aube, quotidien démocrate-chrétien, on se dirige dès le 24 septembre 1949 « vers la formation d’un gouvernement d’Allemagne orientale » sous le contrôle de l’administration militaire soviétique :

« L’administration militaire soviétique a convoqué pour demain dimanche tous les politiciens éminents de la zone orientale au quartier général russe de Karlshorst, écrit le “Sozialdemokrat” sous licence britannique. »

Les inquiétudes de L’Aube quant à l’attitude des Soviétiques se confirment le 5 octobre 1949 lorsque le journal titre que « c’est vendredi à Berlin que serait proclamée la “République démocratique allemande” » :

« Des informations émanant de sources allemandes généralement dignes de foi indiquent que l’État d’Allemagne orientale sera officiellement proclamé vendredi prochain à Berlin au siège de l’ex-ministère nazi de la Propagande par le Conseil du Peuple qui doit se réunir ce jour-là en séance extraordinaire.

Le Conseil du Peuple se déclarerait Parlement provisoire de la République démocratique allemande et élirait alors un gouvernement. M. Otto Grottewohl, coprésident du parti socialiste-communiste unifié serait le premier ministre président d’Allemagne orientale. »

Les zones d'occupation des Alliés en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale.

L’annonce de la constitution du futur gouvernement le 5 octobre 1949 est l’occasion pour L’Aube de rappeler aux lecteurs français que le parti socialiste unifié (SED), né en 1946 de la fusion des partis communiste et social-démocrate, n’est pas un parti unique en RDA :

« Sept des quatorze portefeuilles du futur gouvernement auraient déjà été attribués à des membres du parti socialiste-communiste unifié et les sept autres répartis entre les chrétiens-démocrates, les libéraux démocrates et les nationaux démocrates. »

Cependant les autres partis sont qualifiés dans ce journal de « crypto-communistes » car étant regroupés au sein du « Front national », contrôlé par les autorités communistes. La politique de ces partis est conforme à la diplomatie soviétique visant à unifier l’Allemagne sous son égide. C’est pourquoi l’article de L’Aube souligne la nécessité d’organiser de véritables élections démocratiques :

« Les libéraux démocrates demandent également que le nouvel État et sa constitution soient confirmés par des élections libres ayant lieu dans toute l’Allemagne.

Elles devraient avoir lieu prochainement. En attendant, il conviendrait de consolider la République par des élections démocratiques en zone soviétique. »

Le 7 octobre 1949 « La République démocratique d’Allemagne est née » comme l’annonce triomphalement L’Humanité le 8 octobre :

« Le Conseil du peuple allemand, qui s’est ouvert à Berlin hier à midi, a décidé solennellement de se constituer en Chambre populaire allemande. À 17h il se réunissait pour la première fois en qualité de Parlement.

Otto Grotewohl, co-président du Parti Socialiste Unitaire et ancien dirigeant du Parti social-démocrate, a été élu ministre-président de la République démocratique allemande. M. J. Dieckmannn, du parti libéral démocrate, a été élu président de la Chambre populaire.

Trois vice-présidents l’assistent, représentant le Parti Socialiste Unitaire, l’Union chrétienne démocrate et le Parti national démocrate. Le gouvernement sera constitué à la fin de la semaine prochaine. […]

Une Allemagne démocratique et souveraine est donc née. »

En effet, le 7 octobre 1949, dans le bâtiment berlinois de la Commission économique allemande (Deutsche Wirtschaftskommission), l’ancien ministère de l’Aviation du Reich, le Conseil du Peuple allemand (Deutscher Volksrat) proclame le « Manifeste du Front national de l’Allemagne démocratique » et se mue en un parlement provisoire, la Chambre du peuple (Volkskammer), scellant ainsi l’acte de naissance de la RDA.

La presse communiste française insiste sur l’importance historique et politique que revêt pour elle cet événement. Ainsi, dans le quotidien communiste Ce soir du 9 octobre 1949, peut-on lire que cette Allemagne s’ancre dans une tradition démocratique par le choix symbolique de son drapeau :

« La séance historique de la Chambre Populaire s’est tenue dans les locaux de l’ancien ministère de l’Air allemand décoré du drapeau de la République de Weimar noir, rouge et or, qui avait été symboliquement orné de la colombe de la paix.

Plusieurs dizaines de journalistes étrangers étaient présents. »

En tant que second État allemand, qui plus est communiste, la RDA ne bénéficie que d’une légitimité relative. Le journal Ce soir insiste donc le 8 octobre sur son caractère démocratique et sa légitimité à représenter toute l’Allemagne :

« Le Conseil du Peuple Allemand, émanation du Congrès du Peuple élu les 15 et 16 mai dernier par huit millions de citoyens allemands, se réunit aujourd’hui à Berlin et se transformera en Chambre Populaire représentant l’ensemble de l’Allemagne. […]

M. Pieck a annoncé que des élections générales auront lieu en Allemagne, le 15 octobre 1950. »

La RDA fonde son existence en s’opposant à la fois au passé national-socialiste de l’Allemagne, par la revendication de l’antifascisme comme doctrine officielle, et à l’impérialisme qu’incarneraient les Occidentaux en occupant l’Allemagne et la privant ainsi de sa souveraineté.

C’est le discours officiel que l’on retrouve dans Ce soir. La RDA est présentée comme le vecteur de la réunification pacifique de l’Allemagne :

« [Wilhelm Pieck] a lu un manifeste du Front National réclamant notamment l’abolition de l’État de l’Allemagne occidentale, du statut de la Ruhr et de la Sarre, le retrait des troupes d’occupation de Berlin et la création d’un gouvernement démocratique allemand ayant Berlin pour capitale. […]

Tandis que naît à Berlin la République démocratique allemande, la propagande nazie n’éprouve plus le moindre besoin de se camoufler au Parlement de Bonn […]

Hier deux chefs du premier de ces partis néo-nazis avaient pu proclamer impunément au cours d’une conférence de presse qu’ils approuvaient le programme de Hitler […]. »

Pour asseoir cette légitimité sur les plans politique et médiatique, L’Humanité publie le 15 octobre 1949 les félicitations que Staline adresse aux nouveaux dirigeants est-allemands :

« L’établissement d’une République démocratique et pacifique allemande constitue un tournant dans l’histoire de l’Europe. […]

Ainsi en posant les fondements d’une Allemagne unifiée, démocratique et pacifique, vous accomplissez en même temps une grande œuvre pour l’ensemble de l’Europe en lui garantissant une paix durable. »

La création de deux États allemands a donc durablement accentué les divisions de l’Europe. Les dirigeants des deux blocs en sont conscients et chacun affirme sa volonté de réunifier l’Allemagne, selon sont propre modèle politique et idéologique. La RDA doit donc ainsi être, pour Staline, le fondement de cette future Allemagne unifiée. 

 

Paul Maurice est chargé d'enseignement à l'Université Paris-Est Créteil, doctorant en histoire contemporaine en cotutelle entre Sorbonne Université et l'Université de la Sarre, rattaché à l'UMR SIRICE. Ses travaux de recherche portent sur les élites intellectuelles en République démocratique allemande.