L’interprétation du rôle de l’Union soviétique est toute différente dans L’Humanité. En effet, pour l’organe communiste l’élection du président de la RDA est le symbole de la souveraineté retrouvée de l’Allemagne et une étape vers la réunification démocratique du pays :
« L’administration militaire soviétique est supprimée, Une commission contrôlera l’application des accords de Potsdam. […]
Il a ensuite prêté serment sous la formule suivante : “Je jure de consacrer toutes mes forces au bonheur du peuple allemand. Je protégerai la Constitution et les lois de la République. Je ferai tout pour poursuivre la lutte pour l’unité de l’Allemagne…”
Dans son allocution, Wilhelm Pieck a promis de mettre tout en œuvre pour promouvoir la reconstruction pacifique de l’Allemagne sur une base démocratique. »
Le caractère démocratique de cette élection se traduit pour L’Humanité par une ferveur populaire :
« Des centaines de milliers de Berlinois acclament Wilhelm Pieck.
À l’issue de la cérémonie de son élection, Wilhelm Pieck s’est rendu à Unter den Linden où il a pris la parole devant plusieurs centaines de milliers de Berlinois enthousiastes. »
Pour L’Aube, ces festivités relèvent de la propagande et ont le caractère ridicule et exagéré d’un « carnaval » mis en scène par le régime :
« Dehors, la rue avait pris un air de carnaval, depuis plusieurs heures déjà, des colonnes joyeuses convergeaient de tous les points de Berlin Est vers le quartier de Unter den Linden, portant des drapeaux et des bannières rouges et blanches.
Parmi eux se trouvaient des fermiers des régions rurales d’Allemagne orientales sur des charrettes et des tracteurs décorés de fleurs. »
L’élection de Wilhelm Pieck à la tête de la RDA n’eut cependant pas les conséquences – négatives ou positives – que lui prédisaient les journaux français.
En effet, bien que réélu à la présidence jusqu’à sa mort le 7 septembre 1960, Wilhelm Pieck n’eut qu’un rôle politique marginal en RDA et son pouvoir fut bien moindre que celui du secrétaire général du comité central du SED, Walter Ulbricht.
Cependant la figure de Wilhelm Pieck représentait alors l’unité du mouvement ouvrier et sa réconciliation après des années d’opposition. Vétéran du mouvement spartakiste, il fut l’un de ceux qui permirent la réunification du mouvement ouvrier allemand, entre « réformistes » et « révolutionnaires » au sein du SED.
Même si cette unité fut contrainte dans la zone d’occupation soviétique, elle représentait un espoir pour une large part des sympathisants du mouvement ouvrier, qui pouvait ainsi dépasser ses divergences passées pour réaliser un « État ouvrier-paysan » en Allemagne. Wilhelm Pieck incarna donc pour de nombreux Allemands de l’Est une figure paternelle et protectrice, d’autant plus qu’il fut le seul président de la RDA.
Après sa mort en 1960, une réforme constitutionnelle supprima le poste de président de la République. La fonction de Chef d’État fut désormais assumée par un Conseil d’État composé de 17 membres et présidé par Walter Ulbricht.
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Paul Maurice est chargé d'enseignement à l'Université Paris-Est Créteil, doctorant en histoire contemporaine en cotutelle entre Sorbonne Université et l'Université de la Sarre, rattaché à l'UMR SIRICE. Ses travaux de recherche portent sur les élites intellectuelles en République démocratique allemande.