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Loin de n'être qu'un miroir des inégalités de genre, le sport joue un rôle moteur dans leur (dé)construction. C'est ce que montre la chercheuse Florys Castan-Vicente, dans une thèse qui explore les liens étroits entre l'ouverture du sport aux femmes et la mobilisation de la première génération de féministes.
RetroNews : Quel a été le point de départ de votre intérêt pour les liens entre corps, sport et féminisme ?
Florys Castan-Vicente : Je me suis interrogée sur l'émancipation des corps des femmes à travers l’histoire, et notamment sur les contradictions entre le début des activités physiques pour les femmes à la fin du XIXe siècle et leurs vêtements, très stricts à l’époque, qui entravent énormément le mouvement - corsets, jupons etc.
Je me suis demandée si le développement du sport avait un impact sur la simplification du vêtement des femmes, qui leur aurait ensuite permis d’avoir plus de liberté de mouvement. J’ai voulu explorer en particulier cette période de grands changements qu’est la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
Les historiens avaient jusque-là écarté le sujet en disant qu’il n’y avait aucun lien entre féminisme et sport, alors qu’il y a une coïncidence chronologique entre les débuts du sport pour les femmes et la première génération féministe. Ma thèse a permis de montrer qu’il y avait de fait des liens, des échanges, des effets de réseau, des alliances ponctuelles.
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En quoi le sport est-il plus « qu’un miroir de la société et des rapports de pouvoirs » ?
Souvent on a cette idée, véhiculée notamment par les médias, que le sport est un miroir de la société et que les inégalités dans ce domaine ne sont qu'un reflet passif des inégalités qui existent dans la société en général. En réalité, les analyses socio-historiques montrent que le sport a un rôle performatif dans la construction des inégalités, notamment celles de genre.
De fait, les femmes vont longtemps être privées de la possibilité de s'exercer, de se renforcer, et donc de démontrer qu'elles ne sont pas si fragiles. Le sport est un domaine où les inégalités se construisent - et peuvent donc aussi être déconstruites.
Quelles pratiques sportives se développent au XIXe siècle ?
Ce sont d’abord les pratiques aristocratiques qui se développent. Les femmes aristocratiques sont des exceptions aux normes de genre, par le biais de leur culture. Les activités physiques propres à leur classe vont leur être ouvertes : équitation, escrime, tir à l’arc ou encore tir au pistolet peuvent être pratiqués par les femmes aristocrates.
Les activités de loisir de la classe dirigeante, comme le tennis ou le golf, sont pratiquées en mixité, notamment parce qu’elles sont des lieux de rencontre matrimoniale entre jeunes hommes et jeunes femmes de la bonne société. Certaines pratiques populaires commencent à s'ouvrir aux femmes des classes moyenne et populaire, notamment le vélo et la natation.
À l'inverse, d’autres pratiques ont plus de mal à se développer : l’athlétisme, les sports collectifs et les sports de combat restent fermés aux femmes jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Pour quelles raisons femmes et activités physiques sont-elles alors jugées incompatibles ? Quels arguments scientifiques et moraux sont donnés à l'appui de cette thèse ?
Les médecins jouent un rôle important dans l'idée que les femmes sont trop faibles pour faire du sport. Ils centrent leur discours sur la fragilité de l’appareil reproducteur féminin. Les femmes sont définies à cette période par leur rôle social, et la médecine ne s’intéresse pas à leur bien-être ou leur santé, mais sur leur capacité à être mère, d’autant qu’il y a à cette époque la croyance selon laquelle l’utérus est très fragile et pourrait chuter. Ainsi, toutes les activités qui comprennent des courses, chocs, heurts sont jugées impossibles à pratiquer par les femmes.
Il y a aussi des arguments moraux liés aux normes de pudeur. Pour pratiquer, il faut un vêtement adapté, souvent court ou ample, ce qui n'est pas accepté (cela le sera progressivement à partir des années 1910).
Par ailleurs, c’est une sortie du foyer, pour pratiquer une activité pour soi. Et puis, pour les compétitions, il y a l'aspect exhibition, le fait supposé de se donner en spectacle, qui est très mal vu.
Enfin, des arguments esthétiques sont mis en avant, avec l’idée que les femmes sont laides quand elles sont dans l’effort, elles suent, se décoiffent, portent des t shirt larges… Pierre de Coubertin a cette phrase célèbre en 1912 : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte ».
Dans quelle mesure l'ouverture progressive du sport aux femmes et les premières revendications féministes sont-elles liées ?
Fin XIXe, le contexte devient plus favorable à l’émancipation des femmes avec les débuts de la mobilisation féministe dite de la première vague : certaines féministes ont participé à l’organisation de clubs de gymnastique, notamment. Puis, pendant la Première Guerre mondiale, l'athlétisme et les sports collectifs se développent dans la mesure où les sportifs ayant laissé les terrains inoccupés, les femmes peuvent s’organiser entre elles, créer leurs propres clubs et pratiquer. Cette ouverture se poursuit pendant l'entre-deux-guerres, grâce notamment aux efforts de sportives, qui montent une fédération féminine. Alice Milliat, notamment, organise des compétitions pour les femmes, en football, rugby, ou athlétisme.
Qui sont les pratiquantes sportives dans les années 1920 ?
Dans les années 1920, les sportives sont majoritairement issues des classes moyennes, elles peuvent être artistes, étudiantes, doctoresses… Quelques noms émergent : Alice Milliat, donc, et quelques championnes comme Violette Morris qui s'occupe d’un garage automobile. Certaines d’entre elles deviennent professeures de gym ou enseignantes en éducation physique. Toutes transgressent les normes de genre de leur période.
Certaines vont s’engager plus concrètement pour l’égalité des pratiques sportives, telle Morris, d'autres pour l’égalité tout court et la défense du droit de vote.
C’est le cas de nombreuses aviatrices, qui font partie des plus engagées, comme par exemple Maryse Bastié.
Les aviatrices font partie des sportives les plus célèbres, elles disposent d’un capital symbolique fort, et par conséquent, les féministes vont aller vers elles à la recherche de porte-paroles.
Elles sont également plus politisées : elles ont parfois un parcours difficile car l’aviation est extrêmement masculine. Elles vont donc, pour être reconnues, être amenées à battre des records, à attirer la presse en faisant des manœuvres spectaculaires pour lesquelles elles risquent leur vie… Face à cette inégalité professionnelle, elles vont davantage s’allier pour revendiquer leur place. Cela va les mener vers un engagement plus large. Par ailleurs, sur un plan symbolique, l’aviation est vue comme un lieu de progrès technique et, de fait, c’est une activité qui va attirer des personnalités qui se revendiquent du progressisme politique.
Quel rôle a joué la presse sportive dans cette émancipation ?
La presse a un rôle très ambigu dans ce développement. Elle va favoriser les compétitions de femmes dès la fin du XIXe siècle, notamment des courses automobiles et des compétitions d’aviation, dans un intérêt purement commercial, pour attirer un public avide de nouveauté.
Dans cette optique, la presse sportive bénéficie de l’intérêt suscité par les premières championnes et va les mettre en valeur - c’est le cas notamment de Suzanne Lenglen.
La presse joue aussi un rôle de pompier pyromane car elle organise des compétitions pour attirer les spectateurs, mais parfois elle publie des articles pour critiquer le manque de morale et l'exhibition des sportives devant le grand public, dénonçant les spectateurs comme des voyeurs…
Selon les périodes, il peut y avoir des dynamiques différentes, en fonction des stratégies éditoriales, des alliances, de la concurrence entre les différents organismes de presse etc.
Par exemple, le journal L’Auto, au début des années 20, soutient complètement Alice Milliat mais se met à la critiquer vertement et va finir par se réjouir, à la fin des années 1920, que sa fédération disparaisse et elle aussi. La presse a donc un positionnement très opportuniste.
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Florys Castan-Vicente est enseignante-chercheuse en STAPS à l'université Lyon 1 Claude Bernard, rattachée au L-VIS. Ses recherches portent sur les liens entre féminismes et sport, sur les biographies de dirigeantes internationales et de sportives professionnelles, ainsi que sur leurs performances de genre. Sa thèse, soutenue à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Pascal Ory, intitulée Un corps à soi ? Activités physiques des femmes et féminismes de la fin du XIXe siècle aux années 1930, a reçu le prix de thèse du GIS-Genre en 2021.