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Le procès de l’agence Inter-France, voix de la collaboration

le par - modifié le 19/10/2022
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Créée en 1938 par le saint-cyrien Dominique Sordet, l’agence de presse Inter-France fut l’un des grands relais écrits de l’occupant nazi, alimentant tous les titres de presse de la collaboration. Quatre ans après la fin des hostilités, cette « presse de la trahison » est jugée.

16 juin 1949, 14h15, Palais de justice de Paris. La cour de justice juge trois personnes morales pour intelligence avec l'ennemi et atteinte à la sûreté de l’État : la SA Inter-France, la SARL Inter-France-Informations et la SARL Société des Éditions Inter-France (SEDIF).

Le même jour Le Parisien libéré interpelle ses lecteurs. Page 6, rédigé sur deux lignes, un titre bandeau s'étire sur huit colonnes :

« Vous n'avez pas le droit d'oublier

LA PRESSE DE LA TRAHISON, C'ÉTAIT ÇA ! »

« Aujourd'hui même s'ouvre un procès longtemps attendu, celui de l'agence Inter-France » […], l'une des plus "parfaites" officines de la trahison qui aient été montées dans notre pays », martèle Claude Bellanger, le directeur du journal, dans son éditorial.

« Nous avons voulu, à cette occasion, rappeler ce qu'étaient ces journaux, de 1940 à 1944, dont on imaginait bien qu'ils étaient soumis à l'ennemi, dont beaucoup de lecteurs, du moins, ne pouvaient croire qu'ils se fussent à ce point asservis. »

Entre fin 1944 et fin 1946, les procès de l'épuration « c'était le grand spectacle de la Libération », écrit l’historienne Alice Kaplan (Intelligence avec l'ennemi. Le procès Brasillach, Paris, Gallimard, 2000, p. 160). Ouverts au public, ce dernier s'y pressait en nombre. Ce 16 juin 1949, « le procès de la plus néfaste et la plus importante des agences de presse de la collaboration » (Yves Gantois, Le Populaire du 14 mai 1949) s'ouvre devant une petite trentaine de personnes, « en une petite audience, sans inculpé, sans interrogatoire et sans témoin » (Le Monde du 18 juin 1949). Les temps ont changé.

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Quatre regards pour une histoire environnementale, un dossier femmes de presse, un chapitre dans la guerre, et toujours plus d'archives emblématiques.

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La presse de province complice d'un groupe de presse pro-allemand

La société anonyme Inter-France, « agence nationale d'informations de presse et de documentation politique », avait été créée le 19 octobre 1938 par Dominique Sordet, un homme ulcéré par l'arrivée au pouvoir du Front populaire et l'incapacité des droites à l'en empêcher. Issu de la grande bourgeoisie, saint-cyrien, maurrassien, nationaliste, ancien combattant de la Grande Guerre, capitaine de réserve, il avait alors 49 ans et s'était fait connaître comme critique de disques à L'Action française et à Candide.

Son pari éditorial et financier, risqué, avait obtenu l'assentiment de 38 journaux de province (27 quotidiens et 11 périodiques). En juin 1943, ils étaient 185 (35 quotidiens, 132 hebdomadaires, 14 bihebdomadaires, 2 trihebdomadaires et 2 quotidiens algériens), soit le quart (23%) de la presse de province, laquelle comptait 795 titres en activité contre 1272 en 1939.

Le 8 octobre 1941, trois ans après le lancement de l'agence Inter-France, le même Sordet, soutenu par 15 quotidiens de province, lançait une agence télégraphique, filiale de la première, sous le nom d'Inter-France-Informations (IFI), « la seule agence française autorisée par les deux gouvernements français et allemand à fonctionner dans les deux zones » (Inter-France, 26 septembre 1941). Simultanément, avec l'accord de Vichy, IFI s'assurait la concession exclusive, pour la France et l'Afrique du Nord, du service international de l'agence allemande Transocéan. Une vassalisation de l’information recherchée et assumée. Une agence télégraphique privée franco-allemande était née dont l'essor et la puissance allaient progressivement supplanter l'Office français d'information (OFI), vichyste, et l'Agence française d'information de presse (AFIP), allemande.

Fin 1943, les 15 quotidiens de 1941 étaient devenus 73, dont huit d'Afrique du Nord, soit plus de 50% de la presse quotidienne métropolitaine - laquelle comptait 131 quotidiens en activité contre 168 en 1939 - et 40 % de la vingtaine de quotidiens en activité en AFN.

La Société des Éditions Inter-France (SEDIF), autre filiale d'Inter-France, avait vu le jour le 20 mai 1941, quelques mois avant le lancement de l'agence télégraphique IFI. Avec la SEDIF, Sordet souhaitait prolonger l’œuvre de propagande de l'agence documentaire par la diffusion d'opuscules – des commandes gouvernementales pour la plupart – et d'ouvrages brochés grand public, plus ou moins volumineux, œuvres de journalistes et d'universitaires collaborationnistes. Entre la parution du premier livre, en janvier 1942, La Croisade des démocraties de Georges Champeaux, et celle du dernier, fin juin 1944, Les Raisons d'un silence d’Henri Béraud, une quinzaine de titres avaient vu le jour, sans éclat particulier.

La réussite insolente d'Inter-France et d'IFI trouva son origine, d'une part, dans le choix judicieux de son interlocuteur et partenaire : la presse de province trop souvent abandonnée à son indigence, isolée techniquement et professionnellement ; d'autre part, dans l’expérimentation d'une formule nouvelle : une coopérative de presse habillée en société commerciale dont le principe consistait de faire des journaux actionnaires ses clients.

L'affaire Inter-France dans le contexte de l'après-guerre

Dès 1946, la presse s’inquiète du devenir de l'affaire Inter-France. Ainsi le 23 février Debout, un hebdomadaire d'échos, rappelle sous un titre grinçant la nécessité d'« instruire l'affaire Inter-France, cette agence embochisée qui travailla à plein en faveur du fascisme... ».  

« Et les dirigeants d'Inter-boche ? » 

Le 19 juin, dans Le Monde, Rémy Roure, directeur de la rédaction, ancien déporté, s'indigne de ce que « Dominique Sordet a pu écrire dans l'immonde agence Inter-France, qui cache bien des secrets de la trahison, et dont on parle si peu aujourd’hui. »

Mais c'est l'année 1948 qui voit l'affaire Inter-France arriver en force sur le devant de la scène politico-judiciaire. Cela à la suite, le 12 juin, de l'admonestation de Louis Noguères, président de la Haute Cour de justice, lors du procès de François Chasseigne, ancien ministre de l'Agriculture et du Ravitaillement.

Dans Le Monde du 16 juin 1948, Rémy Roure, laissant exploser sa colère, rappelle que l'agence Inter-France « fut en quelque sorte le cerveau de ce que l'on a appelé la cinquième colonne – et même avant l'armistice. »

« Créée pour répandre l'esprit de la collaboration franco-allemande, elle fut ensuite une véritable "directrice de conscience" des journaux au service de l'ennemi.

Bien plus, elle fut leur surveillante, et à l'occasion leur dénonciatrice. L’œil du maître parmi ses serviteurs. Elle appréciait le degré de servilité des journaux et la qualité de leur travail sur l'opinion. »

Ces interpellations témoignent des craintes nourries par une partie de la classe politique (démocrates-chrétiens, radicaux, socialistes et communistes) et par les anciens résistants face au changement des mentalités. La guerre est déjà loin et les journaux les plus compromis jugés. À l'instar de l'hebdomadaire Je suis partout, étendard du collaborationnisme le plus jusqu’au-boutiste, qui l'avait été dès novembre 1946.

D'autres préoccupations accaparent les Français. Elles sont d'ordre économique (les tickets de rationnement seront maintenus jusqu'en décembre 1949), politique à l'aune des intérêts partisans et des alliances politiques (coalition tripartite, Troisième force, communisme et gaullisme), social avec les luttes du printemps 1947 tandis que l'Empire vacillait sur ses bases avec la guerre d'Indochine arrivée en 1946, suivie de l'insurrection de Madagascar en 1947. Une période des plus instables qui favorise le travail de sape des exclus de l'épuration dans la perspective d'un retour rapide.

Dès mars 1947 n'avaient-ils pas frappé un grand coup avec la création du Syndicat de défense de la presse acquittée ? Les revendications de ce lobby se résument en trois points : révision de la loi du 11 mai 1946 relative au transfert des biens des organes de presse qui avaient paru sous l'Occupation, le classement des affaires en instance de jugement relevant de l'article 75 du code pénal (intelligence avec l'ennemi et atteinte à la sûreté de l’État), dont celle relative à Inter-France, amnistie pour les journaux condamnés.

Un « retour offensif, impudent et malfaisant des anciens collaborateurs de l'ennemi », avaient tonné les Cahiers de la Résistance. Fin 1948, joignant le geste à la parole, sous le titre « Les ultras de la collaboration. Inter-France », la revue consacre son troisième numéro à cette agence « qui était proprement l'araignée au centre de la toile de la trahison [dont] on attend toujours l'inscription de l'affaire au rôle de la Cour de Justice ».

« On devine les influences qui ont pu, jusqu’ici, retarder la révélation judiciaire du rôle d’Inter-France et de ses acolytes. »

« Non ! On n'étouffera pas le scandale Inter-France »

Le 29 janvier 1949, confrontée à la pression politique et médiatique, la Chancellerie rappelle au procureur général près la cour d'appel de Paris « l'intérêt qu'elle attacherait à un règlement rapide de l'instruction  […] contre les dirigeants  de la société Inter-France. »

Le 7 mai suivant l'Index de la presse lance un pavé dans la mare en affirmant :

« L’instruction de cette affaire de presse, l'une des plus importantes de l'Occupation, a été l'objet, dit-on depuis 1944, de nombreuses et, souvent, très pressantes interventions. »

Dans Le Populaire du 14 mai Yves Gantois s’inquiète de ce que « l'énorme dossier d'Inter-France […] continue de sommeiller sous la poussière des locaux judiciaires. Il semble qu'une vaste conspiration du silence se soit nouée pour empêcher que la trahison d'Inter-France ne soit proclamée au jour d’une audience publique de justice. »

Le 17 mai, Franc-Tireur, anciennement communisant rallié au Rassemblement démocratique révolutionnaire, lance un cri d'alarme :

« Non ! On n'étouffera pas la scandale Inter-France »

« C'est Inter-France qui, au sein de la presse, a organisé, coordonné, enflammé l’œuvre de trahison » dénonce le quotidien, avant de s'inquiéter de ce « qu'un beau matin la France apprenne qu'à la suite d'un procès escamoté, l’œuvre de trahison poursuivie de 1938 à 1944 a bénéficié d'un acquittement. »

Le 18 mai, annoncée à la Une par une photographie du siège de l'agence Inter-France, L'Humanité ouvre sur trois colonnes une grande enquête de Jean Coin sous le titre :

« Plus de 400 journaux ont trahi. »

Le 19 mai, consacrant une page à l'agence, le quotidien communiste rappelle la responsabilité de « tous ces journaux qui sont autant de fils de la vaste toile d’araignée utilisée par Inter-France pour faire pénétrer jusque dans les plus petits villages les slogans de la propagande nazie. »

« Que Sordet ait trahi ne semble pas faire l'ombre d'un doute. Inter-France fut allemande cent pour  cent  », écrit le 10 juin Noël Jacquemart dans L’Écho de la presse et de la Publicité, une revue spécialisée qui ne peut être soupçonnée de cryptocommuniste.

Dans Le Populaire du 30 juin, Yves Gantois imagine que « le jour où le procès d'Inter-France s'ouvrira […] il y aura des remous et peut-être des dégâts ». Non sans ajouter : « S'il s'ouvre un jour. »

Quant à la Chancellerie, bien qu'affirmant en janvier 1949 sa volonté d'en finir avec l'affaire Inter-France, elle fait en sorte d'en maîtriser les éventuelles retombées. C'est ainsi que le commissaire du gouvernement Coissac fait, contre l'évidence, le choix de dissocier le cas des dirigeants de celui des entreprises.

« Étouffement éclair du procès Inter-France »

Le jeudi 16 juin 1949 donc, à 14h15, s'ouvre devant la cour de justice de Paris le procès de la SA Inter-France, de la SARL Inter-France-Informations (IFI) et de la SARL Société des Éditions Inter-France (SEDIF), trois personnes morales poursuivies pour intelligence avec l'ennemi et atteinte à la sûreté de l’État, autrement dit l'acte de trahison prévu et réprimé par les articles 75 et suivants du code pénal. Les peines prévues sont la condamnation à mort, les travaux forcés, la réclusion criminelle et l’acquittement.

Les trois sociétés sont représentées par Henri Caldairou, administrateur général des deux premières, lequel comparaît comme inculpé libre. Caldairou est le cadre administratif le plus important depuis les disparitions de Dominique Sordet, en mars 1946, et de Michel Alerme, en mars 1949. Ce dernier était en effet le président du conseil d'administration de la SA Inter-France et le co-gérant, avec Sordet, des SARL IFI et SEDIF.

Partagés entre fermeté et retenue, Le Parisien libéré (gaulliste), L'Aube (démocrate-chrétien) et Le Monde (modéré), annoncent le procès.

Le 16 juin, L’Aube titre :

« Cet après-midi, la cour de justice juge INTER-France’, officine de la collaboration »

La presse issue de la Résistance adopte un ton plus véhément. Le 16, Libération, journal communisant, s'énerve :

« Aujourd'hui en cour de justice INTER-FRANCE

Cette agence, qui organisa et subventionna toute la presse de la trahison, n'est poursuivie que pour la forme. »

La presse socialiste et la presse communiste, hégémoniques et puissantes, sont au diapason. Le 16, L'Humanité considère que :

« Au lieu de juger la presse de la trahison

Au procès INTER-FRANCE on ouvre aujourd’hui UN DOSSIER VIDE ! »

La presse conservatrice (L'Aurore, Le Figaro, L’Époque, La France Libre), qui d'ordinaire s'intéresse peu aux affaires de presse sinon pour soutenir les tenants de l'amnistie, maintient son inscription aux abonnés-absents.

17h20. Après vingt-cinq minutes de conciliabules et un vote à bulletin secret, le verdict de la cour de justice tombe : dissolution des sociétés Inter-France, Inter-France-Informations et SEDIF, avec interdiction de se reconstituer et la confiscation totale des biens au bénéfice de l’État. Les frais du procès sont imputés à Caldairou ou à ses mandants. Cinq ans après la Libération, le procès attendu, réclamé de l'agence Inter-France et de ses succursales n'a pas eu lieu.

Le 17 juin, rares sont les journaux dont la Une porte le verdict à la connaissance des lecteurs. « L'Agence Inter-France est dissoute et ses biens confisqués au profit de l’État » annonce sobrement Combat.

L'Humanité déplore amèrement :

« Étouffement éclair du procès Inter-France

L'unique inculpé repart libre après 30 secondes d'interrogatoire

Mais toute la presse de trahison reste à juger »

Libération titre :

« Inter-France est condamné

Mais le commissaire du gouvernement plaide pour les journaux de la collaboration »

En dessous, Madeleine Jacob, la plume sarcastique, raille la justice.

« Ah ! Le bel escamotage que ce procès Inter-France. En vérité, on n'en espérait pas tant. L'audience fut un gala pour prestidigitateur. »

Le 18 juin Le Monde, sous le titre « La condamnation d'Inter-France », constate en trente lignes que : « la cour de justice de la Seine a liquidé jeudi l'une des plus grosses affaires de la collaboration de presse » […]. Il n'y a là rien d'inattendu... ». Une cour de justice, ajoute le quotidien du soir, qui « fit cristalliser toute l'activité collaborationniste de l'agence sur les deux dirigeants décédés : Dominique Sordet et Alerme ».

Au dernier jour du mois de juin, dans L’Écho de la presse et de la publicité, Noël Jacquemart, sous un titre plat : « Le procès d'Inter-France », donne l'ultime compte rendu de ce qu'il appelle « le procès des morts ».

« Car, il ne s'agit au fond de rien d'autre. Dominique Sordet et Alerme, morts tous deux, ont été constamment évoqués, invoqués et fustigés. Les autres... des sous-fifres, des exécutants, des écrivassiers et des garçons de bureau. C'est du moins l’opinion du Commissaire du Gouvernement lui-même dont le réquisitoire, par moments, prit l’allure d'une véritable plaidoirie. »

« Le procès Inter-France escamoté une seconde fois »

Samedi 23 juillet 1949. Six semaines se sont écoulées depuis le premier procès. Ils sont trois anciens responsables de la SA Inter-France et des SARL IFI et SEDIF qui comparaissent devant la deuxième chambre civique de Paris. En effet, « les faits reprochés aux nommés Pradelle, Quinquette, du Terrail, Caldairou » sont « insuffisamment caractérisés pour constituer le crime d'intelligence avec l'ennemi […] », lit-on dans le réquisitoire définitif du commissaire du gouvernement Coissac.

Rappelons qu'Henri Caldairou était l'administrateur général des agences Inter-France et IFI, Marc Pradelle le directeur de l'agence Inter-France et Alfred du Terrail, le secrétaire général de l'agence Inter-France. Le quatrième, André Quinquette, propriétaire de deux quotidiens de la région d'Angers et agent d'influence d'Inter-France, est absent. Dix-sept autres personnes ont, quant à elles, bénéficié d'un classement pur et simple !

Les sanctions encourues devant la chambre civique, pour infamantes qu'elles soient, sont autrement moins graves que celles encourues devant la cour de justice. C'est ainsi que Caldairou et Pradelle, frappés d'indignité nationale, sont sanctionnés d'une peine de dégradation nationale (fixée à vie ou à temps de cinq ans en cinq ans) de quinze ans, laquelle leur interdit d'exercer la profession de journaliste, sans qu'ils aient à supporter quelque incidence que ce soit sur leurs biens. Du Terrail est relaxé. Quinquette est condamné par contumace à la dégradation nationale à vie, à la confiscation de ses biens et à dix ans d'interdiction de séjour dans les départements de la Seine, Seine-et-Oise et de la Seine-et-Marne. Le second escamotage du procès Inter-France vient d'avoir lieu.

Le 25 juillet, Le Figaro, sous le titre « ÉPILOGUE de l'affaire Inter-France : deux condamnations et un acquittement » prend acte en trente lignes du verdict non sans préciser que Caldairou, Pradelle et du Terrail ont rejeté « toute la responsabilité de l'affaire sur Dominique Sordet et Alerme, aujourd'hui décédés, ainsi que sur les administrateurs occultes qui, disent-ils, n'ont jamais été inquiétés. »

Le Populaire titre a minima : « Inter-France (suite et fin) » tandis que Franc-Tireur fait dans le factuel : « Trois collaborateurs d'Inter-France condamnés en chambre civique ». Les deux journaux s'épargnant d'inutiles regrets.

Nous voici bien loin des condamnations à mort qui avaient frappé dans les années 1944-1946 Robert Brasillach, Paul Chack, Paul Ferdonnet, Jean Herold-Paquis, Albert Lejeune, Jean Luchaire et Georges Suarez. Le temps avait filé et la hiérarchie des peines s'en trouvait réduite : entre la fin 1944 et la fin 1946, entre deux journalistes de grade identique dirigeant des journaux de notoriété sensiblement équivalente, elle avait été divisé par quatre !

Le 4 décembre 1950, l'amnistie élargie est votée. Dès lors, de crime, l'indignité nationale devient un délit, autrement dit une peine correctionnelle désormais limitée à vingt ans. Quinquette est concerné. Mais, surtout, la loi amnistie de plein droit les individus condamnés à moins de quinze ans de dégradation nationale, à l'exception notable de ceux qui l'ont été en Haute Cour de justice et des épurés administratifs.

Ainsi, dix-huit mois après leur condamnation et sept ans après la Libération, Henri Caldairou et Marc Pradelle profitent de la nouvelle législation laquelle n'entraîne, cependant, ni « la remise de l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale prononcée pour crime ou délit », ni n'efface l'enregistrement de la peine au casier judiciaire. Après moult débats, l’amnistie générale est votée le 24 juillet 1953 et proclamée le 6 août 1953.

Aujourd'hui encore méconnue – pour ne pas dire inconnue –, angle mort de l'historiographie de l'Occupation pourtant abondante, l'agence Inter-France fut l'un des plus formidables outils de propagande au service de la collaboration avec les nazis.

Gérard Bonet est historien et journaliste honoraire. Docteur en histoire, il travaille sur la presse des XIXe et XXe siècles. Il est l'auteur de : L'agence Inter-France de Pétain à Hitler. Une entreprise de manipulation de la presse de province (1936-1950), paru en 2021 aux Éditions du Félin.