Qui est ce Joanovici ? Sans nul doute un personnage aux multiples facettes et identités : Juif quasi-orphelin, né en février 1905 en Bessarabie, à Kichinev alors située au sein de l’Empire Russe (aujourd’hui Chisinau, capitale de la Moldavie) de parents rapidement victimes des pogroms antisémites dans cette ville quelques mois après sa naissance, Joseph Joanovici est d’abord Russe avant de devenir Roumain en 1919 après le rattachement de la Bessarabie à la Roumanie. Puis il décide de venir s’établir en France, à Paris en 1925 : il obtient un droit de séjour avec son épouse Hava Schwartz, elle aussi immigrée.
Deux filles naissent du couple, Thérèse en 1927 et Hélène en 1929. Installé dans le XVIIe arrondissement (au 188, rue de Clichy) le ménage vit de peu. Illettré, Joseph Joanovici est d’abord embauché par un chiffonnier de Clichy comme trieur de métaux. Mais doté d’un sens des affaires hors du commun, cet immigré se met rapidement à son compte : dès 1927 il devient commerçant-métallurgiste puis, avec son frère qui l’a rejoint à Paris, une société est créée : les Établissements Joanovici et frères, dont le but est la récupération des métaux non ferreux.
Au début, c’est dans un misérable hangar de Clichy que cette entreprise de ferrailleurs et chiffonniers est installée. Mais au bout de quelques années, non seulement grâce à l’aide d’un autre chiffonnier immigré polonais, mais aussi grâce à son travail acharné rendu efficace par sa capacité à tisser un réseau de relations, les affaires deviennent florissantes.
Viennent la déclaration de guerre en septembre 1939 puis l’Occupation et le gouvernement de Vichy en juin 1940. Chose tout à fait essentielle, preuve de la ruse d’un personnage capable de s’adapter à toute situation moyennant un important pourboire, Joseph Joanovici se fait reconnaître comme « non juif » par le Commissariat Général aux Questions Juives (CGQJ) créé en 1941. Ce tour de passe-passe si décisif au temps de l’exposition parisienne « Le Juif et la France » et plus largement des haines antisémites au cœur du conflit, Joseph Joanovici le réalise d’autant mieux qu’il n’a pas été circoncis. Il parvient ainsi à faire admettre aux Allemands qu’il n’est pas Juif mais Chrétien orthodoxe avec de fausses attestations, délivrées par l’ambassade de Roumanie.
Les établissements Joanovici deviennent « Société de triage et de récupération », et n’hésitent pas à travailler avec les forces d’occupation. Joseph Joanovici se fait présenter au docteur Emil Fuchs de l’hôtel Majestic à Paris, où est installé le Commandement militaire allemand. Il devient chargé d’achats et de métaux pour la machine de guerre allemande. En quelques mois, il fournit les Allemands par wagons entiers et réalise un immense chiffre d’affaire.
Devenu « chiffonnier milliardaire », autant pour inspirer confiance aux Allemands que pour augmenter encore ses revenus, début 1942, Joanovici entre en rapport avec la Gestapo de la rue des Saussaies, de l’avenue Foch et surtout de la rue Lauriston dirigée par Pierre Bonny et Henri Lafont. Détenteur d’une carte de police allemande et d’un droit de port d’arme, il devient même l’homme de confiance des « collabos » les plus impliqués, traitant notamment les principales affaires de revente de bijoux saisis au fil des perquisitions.
Oui, aussi étrange que cela puisse paraître rétrospectivement, pendant la guerre, Joseph Joanovici, fort de son pouvoir de séduction et de cette capacité d’embobiner le premier venu, est un Juif qui mène un grand train de vie dans le Paris de l’Occupation, ayant ses entrées dans les hauts lieux du pouvoir allemand et de la Gestapo, mais aussi dans les restaurants de luxe du marché noir ou les lieux de prostitution.