« Les colons sont bien souvent très républicains […] : la IVe République, parlementaire, s’effondre car son empire formel est en crise, et la Ve République, monarchique, y renonce et a recours à un impérialisme informel, comme en témoigne la « Françafrique ». »
La monarchie de Louis-Philippe, puis la IIe République et l’empire restauré de Napoléon III constituent-ils des ruptures pour l’empire français, ou y a-t-il au contraire continuité ?
Il y a surtout des continuités, et cet empire informel atteint son apogée sous le Second Empire. Toutefois, si la période proprement républicaine de la IIe République est très courte, on voit bien une rupture puisque les républicains préfèrent la domination formelle : c’est par exemple le moment où ils décrètent que l’Algérie est la continuation de la France et doit ainsi avoir des départements – ce sur quoi le Second Empire revient ensuite.
Sans caricaturer, puisqu’il s’agit d’un spectre de possibles et non d’un choix binaire, on voit donc assez bien la distinction entre les monarchistes favorables à un empire informel et les républicains privilégiant un empire formel. D’ailleurs, les colons sont bien souvent très républicains, en premier lieu dans le monde anglophone : aux États-Unis bien sûr, mais aussi en Afrique du Sud, et même en Australie. Et cette lecture fonctionne aussi pour la France plus contemporaine : la IVe République, parlementaire, s’effondre car son empire formel est en crise, et la Ve République, monarchique, y renonce et a recours à un impérialisme informel, comme en témoigne la « Françafrique ».
Évidemment, le cas de l’Algérie fait a priori figure d’exception en étant la plus formelle des colonies au XIXe siècle. Mais je propose une nouvelle interprétation de la conquête de l’Algérie, en montrant qu’elle cadre finalement très bien avec le modèle de l’empire informel tel qu’il a été élaboré par Robinson et Gallagher, puisqu’ils ne disent pas que l’informel exclut le formel, mais que l’on privilégie l’informel tant que l’on peut : c’est seulement si on échoue que l’on durcit les méthodes – on ôte le gant de velours pour dévoiler une main de fer.
Ainsi, les Français ont rêvé pendant longtemps d’une domination informelle de l’Afrique du Nord, et ce qu’il s’est passé n’est pas ce qu’ils avaient voulu au départ : sous la monarchie de Juillet, on souhaite un partenariat avec l’émir Abdelkader, et même après une guerre très dure dans les années 1840 on trouve encore des projets d’un « royaume arabe » sous influence française. C’est justement son échec qui mène à un empire beaucoup plus formel ; ainsi je ne pense pas que l’Algérie invalide le modèle que je propose. Ces hésitations sont d’ailleurs un des facteurs expliquant que la colonie se mette lentement en place. Le but n’est donc absolument pas de minorer les violences de la conquête, mais de montrer qu’elles sont l’expression de la frustration des Français qui échouent à étendre leur influence.